Alors que le Japon compte plusieurs écrivains bien connus des lecteurs francophones (Yukio Mishima, Yasunari Kawabata, Kenzaburo Oe), force est de constater que la littérature chinoise demeure encore largement méconnue. Cette situation tient sans doute pour une large part à la situation politique qui prévaut depuis plusieurs décennies en Chine. Comme Gao Xingjian l’affirme à plusieurs reprises, écrire, dans son pays d’origine, constitue un geste éminemment politique. « Un écrivain qui désirait avoir la liberté de penser, s’il refusait le silence, ne disposait que de la fuite. Et si les écrivains, qui recourent au langage, se taisent trop longtemps, c’est comme s’ils se suicidaient. »
En dépit, donc, de la distance qui peut éventuellement nous séparer d’une littérature et d’une culture aussi complexes que raffinées, on ne peut que se sentir interpellé par les questions que soulève Gao Xingjian. En effet, Le témoignage de la littérature est, avant tout, le témoignage d’un auteur qui a conquis dans l’écriture la possibilité d’exprimer son individualité.
Face à l’Histoire, face au réel qui se dérobe à toute saisie exhaustive, Gao Xingjian ne propose aucun manifeste, aucune ligne de conduite, sinon celle de faire résonner sa propre voix. Xingjian n’a pourtant rien de ces écrivains égotistes ou totalement désabusés. Au contraire, pour lui, « [n]e pas avoir de -isme » (selon le titre du premier essai de Témoignage de la littérature), c’est revendiquer une « littérature qui n’a pas échappé aux souffrances du genre humain, qui n’a pas échappé à l’oppression politique, mais une littérature qui est restée irrémédiablement indépendante, refusant son asservissement ». De quoi nous rappeler ce qu’a dit un jour Guy Debord : « Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire il faut savoir vivre ».