Une mairie de Normandie a acquis, grâce à la négociation serrée entreprise par un conservateur de musée, Monsieur Chalbin, un tableau de Poussin, réalisé un an avant la mort de l’artiste, intitulé Paysage des environs de Rome.
Nous retrouvons-nous dans le grand salon de la mairie, où doit avoir lieu le vernissage, en compagnie du maître d’hôtel, d’une serveuse, d’un serveur, d’un journaliste-écrivain, d’un professeur amer, de l’adjoint au maire, d’une dame nommée Mirabelle, de la sœur de Chalbin et de Chalbin lui-même.
Au début, rien n’est prêt : pas de vestiaire, pas de chaises, pas de buffet ; les petits-fours sont à l’état de projet, les plats de gigot au frigo. Il y a quelques grands vins que le maître d’hôtel fait goûter à Chalbin, en attendant le personnel, tout en constatant que les verres sont mal rincés, qu’il y aura quatre caisses de champagne plutôt que six, que l’adjoint au maire a décommandé le Steinway et le pianiste, par souci d’économie. Et c’est comme ça pour beaucoup d’autres choses.
On attend les gens dans trois quarts d’heure.
Mais on ne connaîtra personne d’autre dans cette pièce que ceux qui sont là, qui attendent les invités, se livrant à nous, à travers des échanges teintés par l’alcool, l’impatience et de tristes nouvelles pour certains comme Chalbin, qui a reçu de forts mauvais résultats d’examens médicaux. La beauté de l’événement qu’il vit jure tant avec la perspective horrible de la maladie
C’est d’une sorte de désillusion collective que nous serons spectateurs, au centre de ce vernissage plutôt terne, où chaque personnage, à l’image de la toile, n’a pas été mis en valeur dans sa vie, n’a pas eu le décor qu’il méritait, l’espace ou le temps qu’il lui fallait pour mener son existence comme il la voulait.
Un fort beau texte par ailleurs !