Venu en Afrique pour y pratiquer et enseigner son art, un cinéaste canadien voit sa paisible cinquantaine s’enflammer subitement. Le démon de midi frappe où et quand il l’entend. Au Togo, puis au Bénin, les jeunes beautés africaines font bouillir le sang du héros. S’il ne s’agissait que de dépaysement et de renaissance, Joseph ressemblerait peut-être à Rimbaud ou à Gauguin ; tourner le dos à un monde trop quadrillé aurait peut-être suffi. Ce n’est pas le cas, car ni le Togo ni le Bénin n’auraient comblé un besoin dont Joseph n’avait pas lui-même pris conscience. Ce besoin, c’est celui d’une femme qui entre dans sa vie et y bouscule irrésistiblement tous les repères. Ce n’est pas d’attachement ou de passion, mais d’envoûtement qu’il s’agit : dès son entrée en scène, Aminata prend possession de Joseph et le plie à tous ses caprices. L’art de Claude Grenier sera d’établir et de maintenir Joseph dans un état d’irréprochable lucidité en même temps que d’impossible résistance. Non seulement son entourage le met en garde contre le risque auquel il s’expose, mais il est lui-même assez tôt convaincu qu’Aminata le vampirise sans vergogne et l’immole à un professionnalisme vénal parfaitement rodé. Joseph coule, mais il observe et analyse son propre naufrage. Quand une pause le ramène au Québec et à la famille sereine et aimante qui fait son bonheur depuis des années, il mesure mieux encore l’ampleur de sa soumission, puis il reprend l’avion et file vers Aminata.. Jamais il n’échappe à l’envoûtement. Invraisemblable ? Grenier ne nous laisse aucune chance de le penser. La déchéance de Joseph, il nous la rend tristement crédible. Les exigences d’Aminata, il les montre toujours croissantes, de plus en plus cruelles, mais toujours comblées par un homme déboussolé et asservi. Par l’intermédiaire d’un ami de son personnage, Grenier ose pourtant une explication : « Les Béninois t’ont sans doute dit qu’elle t’avait envoûté ; moi je dirais que le problème n’est pas qu’elle soit Africaine, le problème c’est qu’une relation ne peut jamais être égale quand l’écart culturel et intellectuel est trop grand ».
L’explication demeure sans prise sur le mystère : Joseph sait mieux que quiconque que cela ne peut pas fonctionner, mais il ne parvient pas à s’éloigner du péril. Dans des circonstances analogues, Ulysse, l’homme aux mille ruses, s’attachait au mât de son navire pour ne pas succomber au chant des sirènes. Joseph nous émeut parce que son sac à esquives était moins profond.