Michel Henry, considéré comme l’un des penseurs français les plus importants de la seconde moitié du siècle dernier, nous présente Marx comme « l’un des plus grands penseurs de tous les temps ». Les trois textes de l’essai Le socialisme selon Marx constituent, en fait, une introduction à la lecture de Marx qui, malgré l’énorme influence qu’il a eue sur le cours du monde, serait grandement méconnu. On nous invite ainsi à distinguer la pensée vivace, vivante incluse dans la philosophie « marxienne » des idéologies et régimes « marxistes » sclérosés. Que l’on pense au marxisme-léninisme ou au marxisme soviétique qui ne plaçaient point l’« individu vivant » au centre de leurs préoccupations. De cette manière, Michel Henry a pu s’attirer les foudres des penseurs « marxistes » redevables au socialisme dit « scientifique ». Ce qui a, d’ailleurs, été le cas de bien des marxiens du vingtième siècle : on pensera à Henri Lefebvre et à Guy Debord.
Pour Michel Henry, le fondement de la philosophie de Marx réside dans la force de la « subjectivité concrète » appartenant à l’« individu vivant » plutôt qu’au collectif – pour lequel le social domine la conscience individuelle – ou à l’universel de type hégélien : l’individu apparaît, au contraire, très ancré au cœur du réel, des pratiques sociales effectives. Ce qui déjà est à l’opposé des dogmes marxistes gommant l’individu au profit des « grands ensembles » aussi bien théoriques – on pensera à Louis Althusser – que sociaux ou historiques. On évoquera, également, les idéologies et politiques marxistes qui écrasaient la personne à l’époque du communisme. C’est dire que la pensée de Marx serait carrément à écarter de l’horizon marxiste !
Michel Henry puise beaucoup de ses arguments dans une œuvre de jeunesse et de transition dans l’évolution de la pensée de Marx : L’idéologie allemande (1846). Celle-ci contiendrait les moments effervescents du « vrai » Marx. On notera que la plupart des œuvres dites de jeunesse de ce dernier – à contenu philosophique, humaniste – étaient pratiquement inconnues des Lénine, Staline, Mao et autres… Et l’auteur insiste beaucoup sur l’idée que Marx aurait toujours eu à l’esprit, même dans Le capital (1867), que ce sont les individus « souffrants », « vivants » qui forgent la société, l’histoire. La « subjectivité organique » fonde ainsi la praxis du vivant. De cette manière, les dogmes marxistes sont vraiment bousculés. « Ce qui est vivant aujourd’hui de la philosophie de Marx : cette philosophie même, pour peu qu’on la dissocie des idéologies et des régimes où elle s’est perdue. Ce qui est mort, ce qui est de la mort : ces idéologies et ces régimes, ce qu’on appelle partout dans le monde le ‘marxisme’. »