À dix-neuf ans, Jérôme Baril a quitté Saint-Silence-sur-la-Lièvre, petit village fictif de l’Outaouais, pour se payer le Vieux Continent en cadeau durant une année sabbatique. Une Europe qui a très peu à voir avec les cartes postales et les destinations cinq étoiles, car après un bref détour en Allemagne, le narrateur s’arrête à Bratislava, s’y établit pour quelques mois et a l’occasion fort peu enviable de visiter le « château le plus laid du monde », d’après son guide Lonely Planet. En réalité, pour ce puceau bien malgré lui, les attractions culturelles et les paysages importent moins que la pressante exploration des territoires de la gent féminine.
Il trouvera pour ce faire son maître à penser en la personne de Nil, le saint patron du titre, dont le surnom évoque bien sûr Neal Cassady, ce « glandeur mystique », la dégaine de Marlon Brando en prime. C’est lui, la véritable tête d’affiche du roman, lui qui focalise toute l’attention du narrateur et du récit, notamment lors de ses déboires aux mains de la police pour avoir accidentellement tué l’agent Kasinski au cours d’une manifestation anti-G20. Jérôme se rend donc à « La Ville », afin d’organiser la fuite de Nil et de s’installer, après des détours certes abracadabrants, dans une auberge de jeunesse de Budapest. Là, à l’abri des regards indiscrets, leur vie de bâton de chaise reprend son cours, la courte intrigue politique se tasse pour faire de nouveau place aux festivités bien arrosées, aux filles pour Nil, à une enfilade de déceptions pour Jérôme.
Tourner en rond est un art, mener la vie de bohème, une indiscipline de tous les instants. Est-ce parce que le premier roman de Strévez La Salle ne semble mener nulle part, sinon à un retour au bercail prévu dès le départ, qu’il réussit à nous flouer de la sorte ? Toujours est-il que la finale est astucieusement amenée ; preuve en est que l’on ne voit rien venir et que l’on en perd pour ainsi dire son hongrois face à cette chute insoupçonnée. L’auteur insuffle ainsi un vent de nouveauté au roman de voyage, ajoute une dimension supplémentaire au récit d’une quête de sexe et d’émotions fortes d’un jeune homme à la naïveté attendrissante. Le ton est plaisamment détaché, les observations tranchantes. Strévez La Salle a de l’esprit, ne mâche pas ses mots et assume sans retenue sa perspective éminemment masculine sur l’amitié, la liberté, les relations hommes-femmes. Que demander de plus ?
LE SAINT PATRON DES BACKPACKERS
- XYZ,
- 2015,
- Montréal
167 pages
21,95 $
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