De quoi les confinements de 2020-2021 ont-ils été le nom ? Que nous disent-ils sur notre époque ? Au-delà de la nécessité sanitaire, l’auteur y voit le signe d’un changement profond de nos sociétés. Un changement profond et inquiétant.
Il ne s’agit pas juste de se protéger ponctuellement contre un virus. Il s’agit d’un mouvement général dont les manifestations sont multiples : « une politique de la peur, pour la peur et par la peur a émergé au niveau mondial portée notamment par l’ONU et les ONG autour du climat, du terrorisme et de la pandémie et qui installe un sentiment d’insécurité globale [italique de l’auteur] ». Les pantoufles mentionnées dans le titre ne sont donc pas uniquement la résultante des diktats de la Santé publique. On reste chez soi aussi parce que l’on se sent coupable de prendre l’avion, parce que le tourisme devient une nuisance pour l’environnement, parce que le monde est présenté comme dangereux et que nous nous voyons de plus en plus nous-mêmes comme dangereux pour le monde. Sans compter que la technologie, plus que jamais, nous facilite la tâche. Rien de plus simple que de se connecter gratuitement sur Zoom pour nos réunions le jour, et sur Netflix à raison de quelques dollars par mois pour se contenter de voir des images défiler sous nos yeux le soir, au lieu de mettre le pied dehors. Et ce n’est que le commencement : les mondes virtuels, qui ont déjà fait leur apparition, ne seront pas de nature à nous inciter à nous aventurer hors de notre confortable fauteuil de gamer… pantoufles ou pas.
Qu’y perd-on ? Qu’y perd l’humanité ? Peut-être le plaisir de vivre l’expérience humaine ? Peut-être la joie de vivre ? « La grande question religieuse était hier : y a-t-il une vie après la mort ? La grande question des sociétés laïques est à l’inverse : y a-t-il au moins une vie avant la mort ? Avons-nous assez aimé, donné, prodigué, embrassé ? » Se pourrait-il que la multiplications des diagnostics de dépression et autres problèmes de santé mentale trouvent une partie de leur explication dans ce phénomène de société ? « Ce n’est pas de calme dont nous avons besoin pour combattre le stress, c’est d’un événement réel, d’une sortie hors de nous-même. »
Il y a dans l’ouvrage de Bruckner – superbement écrit – une dimension pessimiste, quasi apocalyptique (« On fera un jour une histoire assise de l’humanité, du corps étendu ou voûté épousant les courbes de la chaise longue ou du fauteuil, nouvel animal prostré sur son siège »), qui laisse songeur dans un livre cherchant à chanter les vertus de l’audace, mais on ne saurait nier que son diagnostic fait mouche à bien des endroits. Oui, on observe autour de nous « le triomphe de la peur et la jouissance paradoxale de la vie entravée ». Oui, « chacun ne revendique que la sacralité de la victime et non plus la grandeur de l’intrépide ». Oui, « nous vivons des temps post-héroïques ». En un mot, oui, « la prudence est confondue avec l’inertie ».
Si lucide soit-il, ce diagnostic est-il complet ? Chacun répondra à cette question selon sa propre vision du monde. Mais au-delà du ton accusateur et dépité, le versant positif du message de Bruckner peut servir de tremplin et d’inspiration : « Vivre c’est toujours vivre au seuil […]. L’appartement, la maison ne sont des extensions de soi que s’ils débordent sur le quartier, la rue, la campagne alentour. Ils sont alors une orée ou une oreille qui ouvrent sur ce qui n’est pas eux, sur de nouveaux destins [italique de l’auteur]. »
D’aucuns verront peut-être dans ce livre la vision dépassée des boomers, qui n’ont voulu toute leur vie que croquer dans la vie et en tirer le maximum. Reste à cerner ce qu’implique la philosophie de la génération actuelle.