Du poète, on s’attendait à plus d’imprécisions, de métaphores, de jeux d’atmosphère. Ici, fini les tourments de l’individu pris dans la spirale du langage, comme c’était le cas dans Parle seul. Si l’on avait lu le premier roman de Jean-Simon DesRochers, La canicule des pauvres, paru en 2009, on aurait su de quoi il en retourne : DesRochers est aussi un romancier, de ceux dont le style limpide ne cherche pas à attirer l’attention sur lui-même, parce que la complexité du livre réside ailleurs, dans la structure même de son histoire, surtout. Les citations mises en exergue aux trois parties du livre montrent en effet que ce petit-fils du surréalisme est aussi redevable à Raymond Carver, Léon Tolstoï et Russell Banks. Le sablier des solitudes est donc le contraire d’un roman méditatif, chaque élément de l’intrigue, chaque personnage travaillent, comme les instruments d’un orchestre symphonique, pour l’apogée, où tout se rapproche, fusionne, éclate. Ainsi, il est loin le moment annoncé en quatrième de couverture, celui où entrent en collision une dizaine de voitures. Avant, chacune des vies qui basculeront se révèle à nous. Il y a cette masseuse qui se croit la réincarnation de la meilleure amie de Marie-Antoinette, puis cette peintre incomprise, ou cette agente d’immeubles insatisfaite, cet étudiant d’origine chinoise écrasé par sa famille… Et le sexe, autour duquel tournent la plupart de ces vies, et les choses, les maisons, les voitures, les corps humains. Des vies empêtrées dans leur quotidien matérialiste, qui n’ont, en somme, rien de poétique.
L’accident est l’élément qui fait tourner ces parcours vers le tragique, et qui donne au roman l’intensité qui lui manquait peut-être. Pas besoin d’en rajouter, la « réalité » suffit à elle seule. L’écriture, déjà très distante, sans censure – comme dans les longues et abondantes scènes sexuelles –, donne ici froid dans le dos : « L’exact inventaire de ses blessures ressemble à ceci : lacérations (trois cent quarante-sept), coupures profondes (soixante-dix-neuf, majoritairement obstruées par des éclats de verre), fractures (crâne, clavicule, douze côtes, les avant-bras, mâchoire), organes vitaux percés par des morceaux de verre (foie, intestins, vessie) ». Le malheureux a été projeté dans une cargaison de vitres… et n’est pas mort sur le coup…
Faut-il toujours que ça aille très mal pour constater que l’on est vivant ? Pas tout le temps, mais souvent, semble dire DesRochers à la fin de son livre. On adhérera ou non à sa proposition. Avec ce portrait d’une certaine vie nord-américaine, l’auteur fait surtout montre d’un talent de raconteur : on s’abandonne plus qu’aisément à la lecture.