L’originalité du thème et son traitement font presque oublier le manque de fini et l’hésitante écriture du livre. Beau champ de recherche, en effet, que celui des rêves surgis de nulle part et pourtant porteurs de messages d’une troublante précision. Pourvu d’un sympathique scepticisme, le héros réduit d’ailleurs lui-même les hypothèses à une très courte liste. Il interdit à sa mémoire de puiser dans des existences antérieures et à son inconscient de ressusciter des rencontres qui n’ont jamais eu lieu avec Jeanne de Navarre ou Pie XI. Quand mémoire et inconscient sont ainsi disqualifiés, quelle explication reste-t-il ? Seule surnage celle d’un « retour des oubliés » ? L’auteur s’abstient sagement de fermer cette ultime possibilité. De quoi titiller le lecteur.
À cela s’ajoute le mystère que cache souvent la vie des prédécesseurs. Que faisait en Europe l’arrière-arrière-grand-mère et qui rencontrait-elle ? C’est à une fascinante exploration que nous convie alors le bouquin en exploitant au mieux les vieilles lettres et le dépistage généalogique. La découverte d’un roman de Dostoïevski dédicacé par le grand Russe lui-même stimule assurément la curiosité.
Ces questionnements perdent de leur attrait en raison des ficelles abandonnées au vent. Du divorce qui creuse le fossé entre le héros et sa fille, les causes demeurent ignorées. Le héros glisse aussi sur son besoin de fréquenter la Ferme de la conscience épanouie, puis l’Église du Christ cosmique. Censément de conscience délicate, il n’hésite pas à construire son entreprise personnelle à même les clients de son ancien employeur. Silences explicables, mais non expliqués.
Quant à l’écriture, elle n’est ni élégante ni même toujours correcte. « Je ne me souviens pas le nombre de bars », écrit-il. Le verbe initier est utilisé à l’anglaise. Opportunité se substitue à occasion, expertise à compétence. Une température de quinze degrés sous zéro est qualifiée d’« écart de température ». De Corinne, il est dit qu’elle ne faisait « de différence entre rien sur Terre ». On cherchera vainement l’image adéquate en lisant ceci : « Le révérend Taylor m’avait laissé une porte ouverte et je l’avais saisie au vol ». Dommage.