L’album illustré Le poète en feu de glace n’est ni un recueil de poèmes ni une autobiographie, plutôt une sorte d’autoportrait rassemblant une partie des archives de Claude Péloquin.
D’une destinée enviable, le poète Claude Péloquin (1942-2018) est passé à la postérité pour un seul vers, immortalisé par le sculpteur Jordi Bonet, qui avait fait scandale en 1970. D’ailleurs, l’inscription « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves, c’est assez !» reste toujours visible à l’intérieur du Grand Théâtre de Québec. Par son sens de la formule, cette phrase emphatique pourrait rappeller le générique de la télésérie Le Prisonnier: «Je ne suis pas un numéro; je suis un homme libre!». C’est un rare privilège pour un poète que de dépasser le monde de la poésie pour toucher le grand public, même en le provoquant, même en le bousculant. Mais Péloquin reste également célèbre pour avoir écrit en 1968 un texte apparemment décousu magistralement mis en musique par Robert Charlebois (la chanson « Lindberg », emblème du rock psychédélique québécois). C’était il y a un demi-siècle. Rétrospectivement, le poète s’est dit « triste d’être réduit à ‘Lindberg’ écrit en trois minutes », alors qu’il a publié près de quarante livres.
La belle préface de Jean-Sébastien Ménard – auteur de l’essai La Beat Generation du Québec – résume parfaitement ce poète du psychédélisme : « Claude Péloquin est contre-culturel » ; il « évoque ce qui lui fait mal, ce qui le blesse ». À la fin de sa vie, Claude Péloquin était un homme tourmenté et parfois aigri, si l’on en juge par les documents réunis pêle-mêle, un peu comme un scrapbook, dans Le poète en feu de glace: beaucoup de poésie et de prose, mais aussi des coupures de journaux, des lettres de refus de bourses d’écriture du Conseil des arts, une lettre à la ministre des Relations internationales et de la Francophonie reproduite en fac-similé, des esquisses, des manuscrits de sa main, des textes inédits et des projets inachevés. Quelques attaques sont aussi réactivées, comme cette lettre virulente signée par Victor-Lévy Beaulieu à propos du manque de culture québécoise de l’écrivain Yann Martel dans ses 101 recommandations littéraires adressées ironiquement à l’ancien premier ministre Stephen Harper : cette longue liste bibliographique ne comprenait que deux auteurs du Québec ! Péloquin revient également sur sa collaboration malheureuse avec Guy Laliberté et se désole par ailleurs de voir son nom absent de certaines anthologies de poésie québécoise (par exemple dans la revue Mœbius). Aucun obstacle, aucune autocensure, aucun sujet, aucun tabou n’arrêtent Claude Péloquin, qui fustige le vieux système des jurys littéraires et de l’évaluation par des pairs pour les bourses gouvernementales. D’après lui, ces « cliques corrompues » entretiendraient la collusion ; il propose de confier les évaluations à des enseignants ou à des étudiants.
Toutes proportions gardées et à plus d’un siècle de distance, Poète en feu de glace reprend et recontextualise le projet baudelairien de Mon cœur mis à nu en offrant un autoportrait vif et sans concessions, avec quelques éclairs de génie et une dose de provocation digne d’un Louis-Ferdinand Céline.