On connaît l’anecdote : c’est pendant un séjour à Québec, en 1942, qu’Antoine de Saint-Exupéry aurait rencontré le petit garçon qui lui a inspiré Le petit prince. Il s’agirait de Thomas De Koninck, fils de Charles, qui avait alors huit ans.
D’autres croient plutôt que le petit prince, c’était le frère cadet d’Antoine, François, mort à quinze ans. Le voile n’a jamais été levé complètement sur cette question. Chose certaine, l’aviateur aura eu un effet profond et durable sur le petit Thomas, qui, entre-temps devenu philosophe, en témoigne encore aujourd’hui, à 86 ans.
Christine Michaud, fascinée par le charisme du professeur à la retraite, lui a rendu visite tous les lundis, pendant un an, pour recueillir des morceaux de sagesse entrelacés avec celle de Saint-Exupéry.
Il en résulte un genre de précis du mieux-être, en dix chapitres chapeautés par des questions (selon la formule éprouvée du petit prince), de « Qu’est-ce que la beauté ? » à « Qu’est-ce que l’essentiel ? ».
On ne peut qu’imaginer l’imposant travail de synthèse qu’il a fallu à l’auteure pour dégager ainsi l’essence d’un ensemble de conversations qui ont dû partir dans tous les sens et plonger à toutes les profondeurs. Mission accomplie : Le petit prince est toujours vivant montre sans équivoque que la philosophie, même sortie de la bouche d’un de ses représentants les plus érudits, est accessible à tous, à condition de se poser les bonnes questions, de garder un pied sur terre (mais pas les deux), de ne pas perdre de vue nos nobles buts et de se référer aux bons auteurs.
Inévitablement, Le petit prince se taille une place de choix parmi ces références, mais en fait, c’est tout Saint-Exupéry qu’on redécouvre par les très nombreuses citations hors texte tirées des chefs-d’œuvre d’humanité et de réflexion que sont Citadelle, Pilote de guerre ou Terre des hommes. Et dans le propos même, à chaque page, on fera la connaissance d’autres grands penseurs, d’Aristote à Comte-Sponville, en passant par Pascal, Kant, etc.
Le chapitre sur Dieu (« Qui est-Il ? ») est sans doute le plus remarquable. D’abord, on s’étonnera que dans un livre grand public, l’existence même de Dieu ne soit pas reléguée au rang des supercheries. En même temps, comme « l’idée de Dieu accompagne la réflexion humaine depuis des lustres », comment parler de sagesse humaine en en faisant l’économie ? Et l’on découvrira une vision de « Dieu ou le divin » très éloignée des caricatures simplistes et délétères qu’on en fait généralement sur la place publique. « Définissez-moi d’abord ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai si j’y crois », aurait répondu Einstein à la naïve question. De même, « il serait paresseux, nous signale De Koninck par la plume de Michaud, de se dire athée sans préciser le dieu dont on réfute l’existence. En effet, tout le monde est athée de certains dieux ». On pourrait alors découvrir que ce que l’on rejette n’est peut-être pas Dieu mais « ce que nous avons lu quelque part Le concernant ».
Au-delà de cette sphère particulière de l’expérience humaine, l’ouvrage fait le tour des questionnements qui animent nos congénères depuis la nuit des temps : la quête de sens, le bonheur, les liens affectifs, la solidarité, la conscience, l’enfance, la providence, et jusqu’à « l’invisible ». Oui, l’invisible, ce qu’est l’essentiel pour les yeux, ce que l’on ne voit qu’avec le cœur. Le cœur, cet organe immatériel grâce auquel nous pouvons percevoir la beauté, pour que notre vie devienne un « émerveillement quotidien ». Ce qui nous ramène au chapitre premier : « Dans le bouddhisme, nous indique notre guide contemporain, on dit que l’une des caractéristiques du non-désir consiste à percevoir la beauté en toutes choses. Il s’agit d’un état supérieur au simple attrait sensuel qui, lui, crée le désir ». Matière à méditer.
Introduit par une préface de nul autre que Frédéric Lenoir, le volume se conclut par une touchante lettre de reconnaissance de l’auteure au philosophe qui nous offre ensuite un genre d’épilogue, où le petit prince devenu grand mais cherchant à garder son cœur d’enfant nous relate plus directement, à la première personne, comment a grandi l’arbre qui a été semé dans son cœur par un aviateur de passage il y a maintenant près de 80 ans.