Démarche fascinante et courageuse irriguée par une rédaction agile et musclée. Une question, lancinante, sans cesse reformulée, finit par polariser le débat : quand il est question de la vie, un humain peut-il n’être qu’un personnage secondaire ? Dans cette perspective, que n’aurait pas rejetée le Camus des Justes, Carl Leblanc analyse le sort de James Richard Cross. Un échange entre Leblanc et un des ravisseurs condense le problème :
« – Pourquoi parler de Cross ? Il y avait des milliers de chômeurs au Québec en 1970, pris en otages par des compagnies sans scrupules…
– Ça n’est tout de même pas la même affaire !
– C’est la même maudite affaire !
– Les chômeurs ne sont pas ligotés, n’ont pas les yeux bandés et ne sont pas menacés de mort !
– Il n’est pas mort, Cross, à ce que je sache !
Je n’avais pas encore compris. En ne mourant pas, Cross était disqualifié ».
Faudrait-il donc mourir assassiné pour s’inscrire dans l’histoire ? Tenace et pénétrant, Leblanc fera comprendre pourquoi, à 79 ans, Cross hait encore le FLQ. Cross pourrait pardonner ce que lui a subi, mais il ne peut pardonner la souffrance infligée à son épouse et à sa fille. Dostoïevski disait la même chose : le moujik pourchassé et mis en pièces par les molosses du seigneur ne pourra jamais pardonner à ceux qui ont imposé ce spectacle à la mémoire de son enfant. Leblanc, avec courage et talent, montre qu’aucune vie n’est secondaire.