Avec Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, prix Goncourt 1995, présente son seizième roman et même son vingtième si on ajoute ceux écrits sous le pseudonyme de Gabriel Osmonde. Né en 1957, élevé en Sibérie par sa grand-mère d’origine française, réfugié politique à Paris en 1987, le Russe veut témoigner du courage, du patriotisme et du sens du devoir des soldats français lors de la Seconde Guerre mondiale.
Un bref retour en arrière paraît indispensable pour expliquer la genèse du livre.
En 2006, Makine publie Cette France qu’on oublie d’aimer, pamphlet fort mal reçu dans lequel il pourfend la médiocrité de ses nouveaux compatriotes. Le livre est considéré comme réactionnaire. Désemparé par le mauvais accueil que reçoit son livre, l’écrivain tient pourtant à battre le clou avec un nouvel écrit. Il adopte un angle différent. Il préfère encadrer le vibrant témoignage de Jean-Claude Servan-Schreiber, combattant de première ligne, médaillé militaire et commandeur de la Légion d’honneur. Il a une dette envers le nonagénaire, né en 1918, qui a connu un échec retentissant lors de la publication de ses mémoires (Tête haute, 2010), faite sous la pression de Makine. Le Russe met sa plume – magnifique – et sa réputation au service de son nouvel ami.
Lorsqu’en 2006 Servan-Schreiber avait contacté l’écrivain, il lui avait indiqué ceci : « Je suis petit-fils de Juifs allemands immigrés [en France] en 1877 et fier de m’être battu pour mon beau pays ». Les injustices raciales qu’avait subies le lieutenant, catholique de baptême sinon de pratique, avaient fait bondir Makine, par ailleurs séduit par la personnalité du député-journaliste, cousin de Jean-Jacques, le plus célèbre de l’illustre famille Servan-Schreiber et fondateur de L’Express.
C’est ainsi qu’est née la chronique historique, mi-biographie, mi-témoignage, des faits d’armes héroïques du militaire français, qu’Andreï Makine a interviewé à de nombreuses reprises. Page après page, la guerre s’étale dans toute son horreur, entrecoupée des commentaires personnels de l’auteur. Durs combats, morts des camarades, missions derrière les lignes ennemies, résistance, prison et camp de concentration. Puis, enfin, après six années dramatiques, le débarquement, la libération, la victoire. Tout est dit.
Plus français que les Français, l’auteur franco-russe aujourd’hui désillusionné explique pourquoi « la France du lieutenant Schreiber » n’est plus et ne sera plus jamais. Certaines prises de position dérangent, dont son mépris un peu facile envers les Camus, Sartre et Beauvoir, et ses analogies désuètes, comme comparer Servan-Schreiber à « un beau vieillard à la Kirk Douglas ».
Dommage que le récit d’un être éminent soit alourdi par le ton justicier et amer de l’immense écrivain qu’est Makine.