Avant de se jeter dans la baie du Bengale, le Gange crée un immense delta composé de milliers d’îles appelées l’archipel des Sundarbans. Ce pays « à la lisière du tissu de l’Inde, la frange déchiquetée de son sari», change au gré des marées. Dans ce décor de boue et de mangroves, à cheval entre l’Inde et le Bengladesh, trois personnages venus d’horizons fort différents se croisent.
Il y a d’abord Piya, la spécialiste américaine des dauphins, venue observer l‘orcealla brevirostris, une espèce exclusive à la région. Il y a Kanai, l’intellectuel de New Delhi, de passage dans la région pour récupérer le journal que lui lègue en héritage son oncle instituteur. Il y a enfin Fokir, un pêcheur de la caste des intouchables, qui fera fonction de guide pour Piya dans ces méandres inextricables. Sur ce trio, Amitav Ghosh élabore une vague intrigue amoureuse.
Mais plus que les relations qui vont se développer entre ces personnages, ce sont les événements et les légendes qui ont façonné cette région qui constituent le vrai sujet du roman. Aux aventures de nos héros se mêle l’histoire de cette terre, celle de son peuplement au XIXe siècle, celle surtout de la révolte des habitants de l’île de Morichjhapi, venus bâtir une société sans classe. Ghosh nous raconte, parmi bien d’autres événements, comment fut découverte l’espèce de dauphin unique aux eaux du Gange et comment le port de Canning fut autrefois englouti par un raz-de-marée. Sans oublier de nous parler longuement de « Bon Bibi » qui protège les hommes au cœur pur des ruses du tigre mangeur d’homme.
Livre hybride, Le pays des marées instille un plaisir ambigu. Si la ramification des intrigues nous en apprend énormément sur ce coin de terre, elle réduit aussi la tension dramatique du récit. De même, la profusion d’informations finit par diluer l’intérêt du lecteur pour le sort des personnages. Faute gravissime pour un auteur de fiction ! Ici toutefois, Amitav Ghosh sauve la mise grâce à son talent qui donne vie à un lieu, à son climat et au monde qui l’habite.