Alors que la peste de 1720 s’abat sur la Provence et que les villes sont cernées afin d’éviter la propagation de la maladie, un marchand d’œuvres d’art, Maladite, fait fi des interdictions et ratisse la région pour récupérer les trésors laissés par les habitants en fuite devant l’épidémie. Dans ce court roman marqué par la passion pour l’art, Roland Fuentès oppose la fragilité et le caractère éphémère de l’existence humaine à la pérennité de l’art, mémoire de l’humanité et creuset de sa beauté. Or, le romancier pose une double question : jusqu’où la transmission de la perfection esthétique peut-elle justifier les actions pour sauvegarder le patrimoine mondial ? Est-ce que l’acte de réciter peut remplacer ces trésors et reprendre le flambeau de la quête du beau ?
Pour répondre à ces deux interrogations, l’auteur du Passeur d’éternité présente trois modèles de négociateurs de la mémoire humaine. D’abord, Jean Vayron qui narre le récit, un marchand d’art itinérant qui parcourt l’Europe pour repérer des toiles sublimes et qui s’intéresse au mystère entourant Maladite, un collègue renfrogné qui partage sa passion mais délaisse, après avoir survécu à la peste, les voyages à l’étranger. Vayron, pour assouvir sa curiosité, paie une vieille passante pour qu’elle lui raconte l’histoire du marchand. Les deux marchands et la conteuse font métier de mémoire et d’art ; ils vivent des effets que produisent ce supplément d’âme ; ils monnayent le beau et l’utilisent à leur fin tout en cherchant à conserver intacte leur conscience.
Le roman de Fuentès adresse de grandes questions, mais les effleure sans parvenir à donner une consistance aux gestes posés par les protagonistes pour sauver l’art. Le travail de ces passeurs d’éternités visuelle et narrative n’est jamais développé et les intuitions de l’auteur se matérialisent peu. En ce sens, ces questions étaient mieux traitées, avec plus d’entrain et de perspicacité, par Hugo Roy dans son roman L’envie. Plaidoyer pour l’art, l’imagination, les vertus de l’émerveillement et de la découverte de la singularité, Le passeur d’éternité offre un sujet fascinant, dont le traitement n’atteint toutefois pas la beauté évoquée par les Caravage, Bruegel et autres peintres collectionnés par Maladite.