« Parler d’identité aujourd’hui au Québec est sulfureux et politiquement piégé. »Sébastien Mussi relève pourtant le défi, et se saisit pour ce faire d’un objet bien concret, à savoir le programme « Éthique et culture religieuse » (ECR), qui fait tant couler d’encre depuis plus d’une décennie. Ce programme, s’inscrivant dans un courant fort contemporain, vise à favoriser le « vivre-ensemble » par l’accueil et la compréhension de « l’autre », à savoir l’immigrant, essentiellement par le biais religieux.
Or ce biais pose un problème d’emblée, à savoir qu’il revient à définir la société québécoise (ce « nous » qui accueille « l’autre ») par sa religion catholique, ce à quoi ne s’identifient plus les Québécois, sans compter que cette définition ne résiste pas nécessairement non plus à une analyse rigoureuse des faits historiques.
Serait-il possible de définir ce « nous » autrement ? Certes, répond l’essayiste, notamment en s’inspirant de grands auteurs tels que Miron, Aquin ou Saint-Denys Garneau, qui ont pensé et dit le peuple québécois et qui nous en renvoient une image inéluctable : le Canadien, devenu Canadien français puis Québécois, n’est-il pas né de ce sentiment d’être lui-même un « autre » colonisé, dépossédé et dominé, que ce soit culturellement par la mère patrie française, linguistiquement par la mer anglo-saxonne nord-américaine, politiquement par l’Anglais conquérant et les Canadians par la suite, voire moralement par cette Église à laquelle l’ECR veut assimiler son identité ? Le Québécois, celui qui accueille l’immigrant, n’est-il pas aussi celui qui n’a jamais dominé, jamais conquis, jamais pris sa destinée en charge ?
En occultant une histoire de domination caractérisée par une crainte justifiée de l’anéantissement (le plan britannique, à cet égard, fut explicite), le programme ECR nie l’existence d’une tension qui fait partie inhérente de la société québécoise, et qui est plus réelle – et plus ancienne – que le « pluralisme de fait » qu’il pose comme donnée de base. Ce faisant, il déclenche une réaction viscérale qui s’exprime de façon plus ou moins habile dans notre société, mais dont on ne pourra faire l’économie, car il est indispensable d’« entendre la peur de la dépossession » pour « évacuer le ressentiment », alors que l’ECR cherche davantage à « dissoudre » qu’à « résoudre » le conflit.
L’auteur nous fait le cadeau d’une analyse solide, originale et non polémique qui mérite d’être lue.
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