Directeur du Dictionnaire des mythes littéraires (1988) et du Dictionnaire des mythes d’aujourd’hui (1999), Pierre Brunel est bien connu pour ses nombreux travaux de mythocritique, une méthode d’analyse qui s’intéresse à la présence des mythes dans les textes littéraires, à la configuration et à la signification qu’ils prennent selon les auteurs et les époques. La parution, au début des années 1970, de ses ouvrages Le mythe d’Électre (1971) et Le mythe de la métamorphose (1974), fut l’une des premières grandes révélations de ce champ d’études qui était encore à explorer. Le premier de ces livres a été réédité en 1995 et on ne s’étonne pas aujourd’hui que ce soit au tour du second.
En lisant des récits de métamorphose (un homme qui se transforme en animal par exemple), on a souvent l’impression de quitter le domaine de la logique. Pierre Brunel voit plutôt dans cette métamorphose « l’un de nos mythes les plus profonds » qui permet une véritable interprétation allégorique des mystères de la nature humaine. Aussi ce schème mythique est-il l’un des plus anciens et des plus abondamment exploités par la littérature. L’étude de Brunel le démontre à l’aide de nombreux exemples tirés des littératures les plus anciennes comme des plus contemporaines, des « Eddas » scandinaves au « Koji-ki » japonais, mais plus particulièrement à partir de quelques œuvres majeures comme Les métamorphoses d’Ovide, Les métamorphoses d’Apulée, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, Les chants de Maldoror de Lautréamont, La métamorphose de Kafka, la pièce de théâtre Rhinocéros d’Eugène Ionesco et le roman Hommes de maïs de Miguel À;ngel Asturias. Un examen attentif de ces différentes représentations littéraires du mythe révèle la pérennité de ce dernier, mais aussi et surtout son étonnante polysémie. « La métamorphose est à la fois un mythe génésique et un mythe eschatologique, à la fois un mythe de la croissance et de la dégradation. Elle éclaire dans un même personnage, – Alice ou Gégoire Samsa,- des pulsions inverses. Elle combine altérité et identité, introduisant à l’animal qu’on veut être mais découvrant en même temps l’animal que l’on est. » Ces variations, voire ces contradictions, témoignent-elles d’une réactualisation constante du mythe en fonction des valeurs d’une époque et d’une société données ? Chose certaine, de dire Pierre Brunel, « la survie du mythe, perpétuellement réactivé par la littérature qu’il semble susciter, s’explique grâce à ces contradictions ».