Fruit d’une collaboration d’un collectif d’universitaires québécois, Le monde enchaîné se voulait à l’origine un cri alarmant tout autant qu’une contribution théorique sur le cours actuel du capitalisme et les dangers de la ratification de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement). Même si cet accord a été retiré des pourparlers de l’OCDE en 1998, son programme et sa critique sont toujours d’actualité. En effet, les discussions du « Millenium Round », au sein maintenant de l’OMC, en constituent le prolongement. Le sommet de Québec en avril 2001 en est la prochaine étape. Derrière les aspects techniques du projet de l’AMI se situe un véritable manifeste politique : il s’agit d’une première tentative pour codifier les droits économiques des investisseurs et pour contraindre les États à les respecter, et, en fin de compte, à s’y soumettre.
Différentes contributions viennent préciser, fort brillamment, l’histoire et le contenu de l’AMI, ainsi que son impact dans la détermination de nouveaux cadres normatifs, notamment sous l’angle des relations internationales. À cet égard, les auteurs font part des tensions croissantes résultant de l’émergence du « droit de propriété privée dans le domaine du droit public international ». Le texte de Gilles Gagné sur la pénétration du capital dans les différentes sphères de l’organisation sociale offre des développements intéressants ; de même que celui de Jacques Mascotto sur les fondements théoriques de la compréhension du conflit entre économie et politique dans le procès de la mondialisation. Société duale et « dissolution du capitalisme politique » traduisent selon l’auteur non pas le retrait mais bien les transformations de l’État qui tend à abandonner sa « fonction de légitimité à la forme privée du capital ». Enfin, le dernier texte retrace l’évolution historique du capitalisme et fait le point sur les conséquences éventuelles de l’application de l’AMI. Michel Freitag nous donne ici une réflexion pertinente sur les transformations actuelles de l’économie mondiale, sur la constitution d’une « nouvelle caste » issue de la domination du « capital financier spéculatif » qui entraîne sur le plan idéologique « l’élimination de la dimension politique de la liberté » au profit d’une « adaptation stratégique » de la pensée.
Un livre à lire, une approche critique qui, derrière la question économique, tente de débusquer la dimension sociale et politique d’un problème fondamental, d’un problème de civilisation.