Le cinquième roman de l’autrice, journaliste originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, met en scène la figure historique de « l’aristocrate et homme d’armée » James Herbert Dower, « le premier colon anglais à s’être installé » à Conche.
Nous sommes ici à Terre-Neuve, dans un ancien établissement de pêche français délaissé pendant 20 ans à cause des guerres napoléoniennes. En 1816, Dower décide de revitaliser les lieux et d’en faire « un endroit idéal pour entamer une vie nouvelle », où la tolérance, la liberté religieuse et l’égalité sociale seront des principes incontournables. Dès son arrivée, il s’active à bâtir un havre de paix, en dépit des habituelles disputes entre catholiques et protestants – et entre Irlandais, Anglais et Français – au sujet du partage des zones de pêche à la morue, le tout sous la surveillance pas toujours harmonieuse de la Navy britannique et de la Marine française. Le « maître de Conche » connaît un succès relatif dans son entreprise malgré son total dévouement, son inébranlable détermination, ses efforts soutenus, malgré aussi les coups durs que la vie lui impose : il doit par exemple surmonter la mort de deux épouses, la Bordelaise Hortense de Rohan d’abord, et l’Irlandaise Catherine Cashman ensuite. Après une période de grande prospérité, Dower meurt sans avoir pu mener à terme son œuvre humanitaire : il a le sentiment de n’avoir pas évité l’ « établis[sement] à demeure » de « tous les travers de l’humanité – tout particulièrement la convoitise, la petitesse et la jalousie – […] dans ce refuge du bout du monde ».
Dans un long et terminal « Mot de l’autrice », Françoise Enguehard raconte l’origine et décrit le déroulement de la rédaction de son roman. Des documents historiques déposés à l’Université Memorial de Terre-Neuve ont été confrontés par l’« éminent historien Patrick O’Neill » aux étranges écrits d’une ex-habitante de Conche, Evelyn Saxton Conner, qui avait voulu transmettre ce qu’elle savait des anciens de son village dans ce qui sera finalement reconnu comme une « ébauche de roman ». Et Françoise Enguehard de « prendre le relais » en essayant de distinguer le vrai du faux, et en ajoutant même des épisodes fictifs à la réalité historique.
S’exprimant dans une langue toute simple, la journaliste-romancière se double par moments d’une informatrice, au sens ethnologique du terme. On trouve ainsi, au fil du récit, des renseignements sur les habitudes de pêche des Terre-neuviens, le traitement de la morue, les rivalités religieuses, le ravitaillement des établissements, le va-et-vient des navires, la double patrouille militaire de l’époque, le partage du travail entre les hommes et les femmes, l’indispensable préparation pour affronter la rigueur des hivers… Surgit parfois un mot devenu anachronique : que sont en effet des plates, des foissières, des vigneaux…
Le maître de Conche est somme toute un intéressant récit de type historique, dans lequel les personnages s’amènent par dizaines pour animer un tableau où s’entremêlent la fiction et la réalité.