Long retour, en effet, que celui-là, et sans garantie de sérénité. Jeune architecte incapable de coexister avec un père envahissant, Léo a fui Montréal. Trente ans durant, à Buenos Aires, il s’est cherché, ne parvenant qu’à poser des gestes professionnels délestés de passion. Quand lui parvient l’annonce du décès de son géniteur, il fait de son nécessaire voyage à Montréal un prétexte pour mettre fin à son exil. Qu’est devenue sa ville natale? Il se fait une joie de chercher à le savoir. L’Expo 67 a aéré décor et société, la Place des Arts a embelli son lieu d’implantation et renouvelé en profondeur ses publics… La famille de Léo a évolué elle aussi, mais assez peu et d’une manière différente selon chacun de ses membres. La mère, qui alignait sa pensée sur celle de son mari, parle un peu plus. Chacune des sœurs insiste pour gaver Léo de confidences plus ou moins désirées, pour lui faire accepter une parentèle inattendue, peut-être pour l’insérer dans un projet professionnel. Léo écoute, observe, cherche ses marques. Lentement.
Une constante traverse ce roman: la force de l’identité judaïque. « Hier, avant de m’endormir, se dit Léo, je me disais que Dieu peut n’être qu’une hypothèse, une possibilité, mais sa parole est là, réelle, traversant les siècles, immuable et toujours en correspondance avec nous. Le génie des Juifs est d’avoir écarté toute vérification. » Le long retour comprend ainsi une étape spirituelle. Un instant revivifiée, la recherche d’une architecture qui soit autre connaît des ratés : l’idée de repenser Montréal à partir d’un inventaire photographique des lieux fait sourire les pragmatiques. Puis, la rencontre de Julia donne au retour son sens profond. Tout comme Julia s’accepte en tant que pianiste de haut niveau, mais n’aspire plus à la gloire des meilleures, Léo demande à son métier d’architecte non plus la refonte d’une métropole, mais la maison où Julia et lui connaîtront la seule liberté qui vaille d’être recherchée: « Je trouve difficilement les mots, dit Léo à Julia. C’est pour cela que je construis une maison. Pour parler ».
Plein de délicatesse, comme nombre des romans de Kattan, Le long retour se montre étonnamment généreux en longs monologues. La justification, le plaidoyer, les libérations psychologiques conduisent les sœurs de Léo à s’épuiser en explications verbeuses. Lui aussi succombe à la prolixité. Peut-être, cependant, ces monologues ont-ils précisément pour but de montrer, par leur artifice, la difficulté d’un retour arraché au temps.