« Tout ce qui est solide se volatilise, tout ce qui est sacré est profané, et l’homme est enfin contraint de regarder en face les conditions réelles de sa vie, et ses relations avec son espèce. » Le roman de Robert Silverberg s’ouvre par cet épigraphe aux relents d’actualité. À ces facteurs d’angoisse, où l’on reconnaît les grands thèmes des gourous de l’anxiété, il ne proposera qu’une tautologie, seule réponse qui puisse tenir : retour au sacré, retour à l’ordre. Le bon vieux c’est la vie. Bête, mais quand Robert Silverberg pousse la fataliste chansonnette du devoir et de la famille, on en garde quelque temps l’air dans la tête.
Joseph Maître Keilloran fait partie des seigneurs d’une planète au nom fort éloquent, Patrie. Parvenu au seuil de sa seizième année, il passe l’été chez les Geften, amis de sa famille. Le roman s’ouvre en même temps qu’une guerre : le Peuple soulevé entonne quant à lui un autre air bien connu, où il est question de lanternes.
Joseph, avec l’aide d’une servante demeurée fidèle à sa caste, parvient à s’enfuir. Commence pour lui le retour au domaine paternel, qui se trouve à seize mille kilomètres de là. Le jeune homme connaîtra la solitude, le froid, la faim. Le racisme, l’anthropomorphisme et quelques autres ismes, trouveront dans son périple, et dans les différentes rencontres qui le jalonnent, un joli traitement, nuancé et sans surenchère. À la fin, ainsi ciselé par l’effondrement de toutes ses certitudes, Joseph a pris du relief, l’expérience, indispensable à la maturité.
Bien qu’il ne fera sans doute pas date, ce voyage paraîtra court à qui l’entreprendra. Le long chemin du retour tient de l’éducation sentimentale ; loin de laisser les valeurs du héros se diluer dans un cynisme goguenard, elle propose un rapport au monde plus généreux qui fait appel à la noblesse d’âme. Une lecture agréable.