Décision doublement heureuse chez Fides : rééditer Le lieu de l’homme et inclure cet ouvrage majeur de Fernand Dumont dans sa collection du « Nénuphar ». L’œuvre, elle, en profite pour démontrer que le quart de siècle écoulé depuis la première édition n’a fait qu’accentuer la pertinence d’une telle réflexion.
Quand l’homme, celui d’aujourd’hui moins humblement mais aussi douloureusement que celui d’hier, cherche à se situer, il espère pouvoir tabler sur des valeurs universellement respectées. S’il y parvient, il traverse une époque de moindre inquiétude et de solidarité plus tangible avec ses semblables. Fernand Dumont hésite pourtant devant ces repères. D’une part, il doute d’en trouver qui fassent consensus dans notre société fragmentée jusqu’à l’atomisation ; d’autre part, la valeur qui s’y rattache ne lui paraît pas toujours aussi lourde de sens qu’il y paraît. Pour un peu, Fernand Dumont dirait : « Que l’homme affronte le vent du large ! »
L’homme cherche, en effet, son lieu, faute de quoi l’angoisse l’étreint, la stérilité le frappe. Il le trouve dans la culture, mais il n’en est pas apaisé pour autant. Car la culture, dont Fernand Dumont multiplie les définitions éclairantes, est mouvement plus que possession. Elle est un projet sans cesse remis en question. Elle est ce dialogue, toujours nouveau, jamais achevé, entre les faits et la conscience. Elle est déchirement, reconquête, désarroi, fragile ancrage. Elle est la mémoire de ce qui fut, mais aussi de ce qui n’existe pas encore, mais prétend advenir. Elle vient ainsi à la rescousse de la raison qui ne peut pas, dit Fernand Dumont, « se donner à elle-même sa propre histoire ». Livre dense en dépit ou à cause d’une écriture racée. Maniement raffiné et orchestré de tout ce qu’ont accumulé les sciences de l’homme, depuis l’anthropologie jusqu’à la psychologie, depuis l’histoire jusqu’à la poésie. Coups de sonde originaux et pénétrants dans les œuvres d’Eliade, de Merleau-Ponty, d’Heidegger, de Confucius… Pages souvent prémonitoires tant est claire l’intuition de 1968 sur la future gourmandise des organisations, la rupture moderne entre l’analyse des moyens et l’appréciation des fins, l’avachissement découlant des sondages d’opinion, le déferlement des fragments d’information abandonnés à leur radicale insignifiance.
Tout cela définit le défi lancé à l’homme. Il doit, comme au paradis terrestre, sans cesse revenir à sa conscience, nommer les choses, se resituer face à elles, constater la distance et le lien qu’il vient de créer entre les faits et lui, voir du coin de l’œil entrer en scène d’autres consciences qui, elles aussi, mènent un manège analogue…