Pour l’amour de Lacan pourrait figurer le titre de cet hommage au proférateur du Séminaire et à l’auteur des Écrits, dont le dynamisme et la bouffonnerie grave n’eurent d’égal qu’un engagement sans faille dans son métier, son art. Même si j’aurai entendu sa voix, je n’aurai jamais connu l’homme, j’aurai toujours voulu l’avoir connu, je le lis passionnément et je le rencontre désormais chaque jour dans ma vie et ma pratique. Il me concerne par l’acte de la coupure et par l’opération de la castration, aujourd’hui si mal en point. Gérard Haddad, lui, fut, durant 12 ans, un analysant de ce grand Maître de vérité. C’est du récit de ce travail d’évidement, d’accession d’un sujet à sa propre parole, de ses effets dans la vie d’un être humain en proie à « la latérite de son refoulement » qu’il s’agit ici, parcours au terme duquel il assumera sa judéité en passant par le meurtre symbolique de son père imaginaire, c’est-à-dire, d’abord, en organisant, lui l’ex-militant du PC, la bar mitzva de son fils aîné, moment qui allait le conduire, quelques années plus tard, à revenir à son point de départ pour contempler le voile du Sanctuaire.
D’abord ingénieur agronome spécialiste du riz en Afrique, Gérard Haddad décide, à 30 ans, de devenir médecin puis psychiatre et surtout psychanalyste, un rêve d’enfance qui a à voir avec l’intense névrose obsessionnelle dont il souffre. Il se fera dès lors traiter sans ménagement aucun par Jacques Lacan, de telle sorte que ses pulsions anales baissent les armes. Les séances courtes seront là d’une implacable nécessité pour que se dissolve, lentement mais sûrement, la fascination du totalitarisme – laquelle ne cesse aujourd’hui de nous guetter, au point d’avoir infecté le champ freudien. Émerge ainsi la question du père, l’un des vecteurs les plus puissants de son analyse, depuis les grandes espérances du sien pour lui en passant par la lecture d’Albert Cohen ou les axiomes de Giuseppe Peano tout autant que son idéalisation de jeunesse naïve du Lider Maximo. « Si j’ai tant aimé Lacan, c’est parce qu’au centre de sa théorie et de sa pratique se trouvait cette énigme de la paternité et de la filiation, ma croix personnelle, passion et résurrection incluses. » Au fond, on ne veut pas l’entendre et encore moins le savoir, le père nous oblige à nous confronter à notre mort. Reste ensuite, pour un homme comme pour une femme, à résoudre la question du rapport sexuel, qu’il n’y a pas, autre malentendu fondateur, autre deuil primordial.