Un livre au format lilliputien, toutefois lourd de sens dans la visée rétrospective sur un parcours littéraire à la cohérence irréprochable. Un point d’orgue que l’on espère ne pas être un point final.
Amour et écriture, à l’évidence, mais aussi, toujours, socialité en sous-texte. En exergue, Annie Ernaux place une phrase qui caractérise son rapport à l’écriture et engage à la réflexion, plus largement, sur tout acte d’écrire : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues ».
Comme d’habitude chez Ernaux, l’intrigue se résume à peu : une femme ménopausée vit une relation avec un homme de presque trente ans son cadet. Hormis l’attrait charnel réciproque, tout sépare cette femme et cet homme. Ils ne partagent ni références culturelles, ni respect des convenances, ni conscience politique, ni même quelque préférence alimentaire. Pourtant, la relation procure aux deux partenaires une profonde satisfaction. Au cinéma, ils voient des films, des histoires de couple où la femme prend un amant plus jeune et en sort meurtrie. Cela ne correspond pas à leur histoire, où chacun trouve son compte.
La femme joue ici le rôle de pygmalion. Elle se permet ce que peu de femmes se permettent, alors que les hommes s’en autorisent allègrement depuis toujours. Elle initie le jeune homme à des délectations qui lui étaient jusque-là étrangères. En retour, lui, malgré des manières peu élégantes, vénère sa compagne plus âgée : « Il me vouait une ferveur dont, à cinquante-quatre ans, je n’avais jamais été l’objet de la part d’un amant ». Et, surtout, la relation offre à la femme une reprise de contact avec son passé, lui permet de mesurer le chemin parcouru : « [J]’avais l’impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse ».
Tout en étant complètement immergée dans la relation, la femme scrute dans le menu détail, pour ne pas dire avec un souci maniaque, les conditions de vie et les manières d’être du jeune homme. Elle s’abandonne à son amant et pose en même temps sur lui un regard au scalpel. Elle le décrit comme un jeune bien de son temps, qui ne vote pas, ne voit pas le travail comme un accomplissement et n’a aucun scrupule à se laisser entretenir.
Ce livre est-il, comme le prétend l’éditeur, « une clé pour lire l’œuvre d’Annie Ernaux » ? Oui et non. On peut y voir une clé, parce que la brièveté du texte montre, peut-être mieux qu’ailleurs, les motifs essentiels ressassés par l’autrice. Sans doute aussi Ernaux est-elle plus transparente, dans ce livre, sur sa propension à provoquer les événements de sa vie (et surtout de sa vie sentimentale) susceptibles de nourrir son écriture. Mais il n’est absolument pas nécessaire de passer par là pour entrer dans son univers où, invariablement, perce une fascination indulgente pour le mystère de la relation amoureuse et de la relation aux autres.