« Sa sœur ne comprenait rien à la force de la littérature. Il ne s’agissait pas uniquement de dire les choses. Comment les raconter avait toute son importance. Il fallait toucher le lecteur, lui faire peur, l’anéantir. » Patiemment l’araignée tisse sa toile comme un piège funeste. Mues par la vengeance, les sœurs Provost s’évertuent à détruire la réputation de celui qu’elles nommeront simplement l’Ogre. Le calvaire qu’elles s’apprêtent à faire vivre au monstre se pose alors comme l’ultime châtiment lavant la tache de la destruction sadique de leur famille. Des araignées, les sœurs Provost ? Mieux encore, de véritables scorpions ! Un exutoire libérateur, certes. Mais Le jeu de l’Ogre est bien davantage que la manifestation cathartique d’une pulsion vengeresse : il est avant tout un roman sur le deuil, évoquant le vide et le déchirement hurlant causés par la perte d’une mère aimée.
Le jeu de l’Ogre s’inscrit dans cette nouvelle vague d’auteurs québécois qui surfent plutôt adroitement sur la planche polar. Après avoir apprécié ces dernières années les romans noirs de Martin Michaud, Guillaume Lapierre-Desnoyers, André Jacques et Diane Vincent, nous voici devant le premier roman de Maureen Martineau. Une lecture captivante tant il devient difficile de déposer le roman une fois les premiers chapitres lus.
Judith Allison en est à sa toute première enquête à la section des crimes majeurs du Service de police régional d’Arthabaska. Elle a donc la lourde tâche de se faire la main au sein d’une brigade hostile qui lui renvoie constamment le poids de son inexpérience : un vague sentiment de trahison la taraude dans la mesure où chacun y va de ses initiatives secrètes pour faire progresser l’enquête, ou pour l’avancement plus égoïste de ses intérêts personnels.
On ne joue pas ici la carte du sensationnalisme causé par une série de meurtres spectaculaires aux mises en scène choquantes et esthétisées ; on cherche en toute modestie plutôt à élever le genre. Sans être une œuvre cérébrale, tant s’en faut, Le jeu de l’Ogre se situe dans une sphère où l’intelligence et l’insidieux interviennent au premier plan. Or moins que les chapitres consacrés à l’enquête, convenue et classique dans la procédure, ce sont ceux déployant les filets du piège qui fascinent. Le mystère, opaque et maintenu volontairement confus, est aussi difficile à démêler qu’une boule de nœuds compacte. Vivement un second tome !