Voilà une idée éculée que de dire que la lecture – ou l’écriture – fait voyager. Ici, pourtant, elle prend un aspect nouveau. La plus grande force de ce recueil est sans doute l’osmose créée entre le voyage, au sens premier du terme, le déplacement en avion, et le désir de se (re)trouver ailleurs par l’écriture, ou d’aller au bout de soi-même, comme le dit la poète. Mais nous nageons encore en plein cliché. La qualité d’un livre réside surtout dans sa façon, et cette façon, chez Hélène Dorion, approche du grand art. Difficile de cacher mon admiration pour cette poète qui s’est logée, de l’avis de plusieurs, aux côtés des Jacques Brault et autres Gaston Miron. Depuis 1983, Hélène Dorion a publié une quinzaine de recueils dont Ravir : les lieux, pour lequel elle obtenait en 2005 le prestigieux prix Mallarmé et le prix du Gouverneur général du Canada. Une voix tout à fait unique dans le paysage littéraire québécois, qui a le malheur d’appartenir à un genre très peu lu. Mais à ceux qui disent ne rien comprendre à la poésie, Le hublot des heures s’offre comme une porte d’entrée. Plus narratif que les autres recueils de l’auteure, il raconte en quelque sorte une suite de vols en avion, de départs et d’arrivées au cours desquels la poète prend des notes. Sa pensée vagabonde entre le lac près de sa maison et l’espace pressurisé de la cabine où « chacun fouill[e] tantôt dans son sac, / tantôt dans la pochette avant de son siège, / pour y trouver n’importe quoi, / n’importe quoi / plutôt que rien ». Ce genre de détails savoureux filent une métaphore sur le désir d’écrire pour échapper au vide de l’existence et au chaos du monde. « [ ] c’est aux mots que tu dois de retrouver / l’équilibre fragile, la parfaite géométrie / de cette ville que tu regardes maintenant / par le hublot de l’avion / dans lequel, à nouveau, tu te retrouves. » Comme le voyage, l’écriture est sans cesse à recommencer parce qu’elle ne mène jamais au bout du bout. Réflexion de riche, de bien « assis » ? La poète a la lucidité de voir que pendant que « des masques tombent devant nous » « à la moindre secousse », ailleurs, sous la carlingue, une réalité incontrôlable, violente, absurde se déploie. C’est en somme une œuvre touffue, dont le grand mérite est de livrer un sens dès la première lecture, et un autre à la deuxième.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...