On a longtemps considéré le livre Le monde du blues de Paul Oliver comme la référence majeure sur l’histoire du blues. Ouvrage épuisé depuis 30 ans dans son édition française, cette réédition intégrale n’a pas subi une seule ride, car le blues en tant que phénomène musical et social n’a pas beaucoup changé depuis 1962, date de la première parution.
Le point fort de ce premier livre du musicologue britannique Paul Oliver (qui devait par la suite en publier une dizaine sur le même sujet) est de relier le contenu des chansons à un certain nombre de thèmes : la pauvreté, la maladie, l’alcool, la prison, les femmes, la guigne, mais aussi la ségrégation, l’homosexualité, le vaudou. Presque chaque page contient des extraits de textes traduits en français, donnant lieu à une interprétation d’un matériau brut et chargé de sens. On y retrouve des études des blues interprétés par les artistes les plus représentatifs de ce genre, dont Bukka White, Leadbelly, Ma Rainey, Blind Boy Fuller, figurant tous parmi les véritables fondateurs du blues.
Une discographie et un bref complément bibliographique (datant de 2002) complètent l’ouvrage. On ne peut que regretter la disparition dans cette réédition de poche des 46 héliogravures en noir qui fournissaient une documentation sobre faite de photos de bluesmen et des lieux où ils vivaient ; l’éditeur a néanmoins conservé une quinzaine de vignettes plus anciennes. Malgré l’importance des livres du Français Gérard Herzhaft et de Lawrence Cohn aux États-Unis, cette étude de Paul Oliver demeure une référence incontournable sur le blues.
Dans son Grand livre des Negro Spirituals, Bruno Chenu reprend la méthode analytique de Paul Oliver pour l’appliquer à un genre musical assez proche du blues (dans ses origines) mais plus ancien, le Negro Spiritual, qui se définit par des chants religieux aux rythmes soutenus, souvent issus du XIXe siècle, et inspirés par des thèmes typiquement catholiques : l’humilité, le pardon, la résignation, l’espoir. Les références symboliques et bibliques (le déluge, l’esclavage, le mal, les Évangiles) y abondent et peuvent donner lieu à de multiples interprétations. Comme on le sait, même des œuvres symphoniques du début du XXe siècle, la célèbre « Symphonie du Nouveau monde » de Dvorak ou le « Porgy and Bess » de Gershwin, avaient copieusement emprunté aux Negro Spirituals.
Dixième ouvrage de Bruno Chenu, Le grand livre des Negro Spirituals fournit dans un style clair et bien documenté une histoire très complète et vivante de cette musique à la fois riche et profonde. En outre, une annexe fournit les textes de quelque 200 Negro Spirituals, et l’ouvrage comprend dans sa jaquette un supplément original et indispensable : un disque compact de 18 chansons de gospel, toutes interprétées par un ensemble peu connu, le Moses Hogan Chorale.
Ces deux ouvrages abordent la musique afro-américaine en tant qu’expression de l’identité et de la culture d’un peuple minoritaire. Les aspects thématiques priment dans leurs analyses ; les variations musicales restent ici secondaires. Chacun de ces deux livres constitue une porte d’entrée idéale pour mieux comprendre les mots d’une musique familière que nous croyons bien connaître, mais dont le sens profond nous échappe souvent.