Le père meurt et du coup la fille se rend compte qu’elle ne connaît pas vraiment cet homme. Au sentiment douloureux de la perte s’ajoute le remords, d’où naîtra une quête, et un livre.
Céline Huyghebaert a quitté sa France natale pour s’installer au Québec en 2002, où elle a poursuivi des études universitaires sur la littérature et l’art. Son livre Le drap blanc est l’aboutissement d’une démarche artistique multiforme et très personnelle, basée sur la recherche des traces symboliques laissées par son père après sa mort. Le livre est ainsi conçu comme un album dans lequel sont interrogés, et mis en relation, tant les objets ayant appartenu au défunt que les souvenirs de ses proches. Commentaire d’un ami de l’autrice appelé à témoigner : « La mort est une chose difficile à saisir, difficile à vivre. Comprendre qu’on va mourir, nous aussi – chose quasiment impossible pour notre cerveau, l’idée de ne plus être là ».
Lorsque Céline Huyghebaert reçoit un appel téléphonique de l’une de ses sœurs lui demandant de venir au chevet de leur père hospitalisé, l’homme n’en a plus que pour quelques heures à vivre. Le temps de prendre un avion pour traverser l’Atlantique, il est déjà trop tard. « J’aperçois mes sœurs à l’autre bout du terminal et je le sais, que mon père est mort. » La fille n’aura pas pu parler une dernière fois à son père. Il sera parti sans qu’elle ait eu l’occasion, par quelque parole réparatrice, de conclure leur relation sur une note positive. Il avait 47 ans.
Peu de temps auparavant, l’autrice avait envoyé à son père une carte de souhaits, dans laquelle elle remuait le passé. Elle n’est pas sûre que ses mots aient été bien interprétés. Son père semblait avoir été ébranlé par cette missive. « Je me servais des mots comme de bombes à cette époque », dira-t-elle. L’homme avait-il, alors seulement, pris conscience d’une rupture entre lui et sa fille ? Cette question et une multitude d’autres se bousculent dans la tête de la fille, entre autres lorsqu’elle se retrouve devant le drap blanc recouvrant le corps froid de son père. Quand la famille liquide les affaires du mort, vide sa maison, elle n’arrive pas à participer avec eux à la corvée. Tout ce qui reste de la figure paternelle lui semble disparaître trop vite. Elle a l’impression de ne pas avoir voix au chapitre, qu’on lui en veut d’être partie vivre au Québec.
Après le moment traumatisant causé par le contact avec la mort, Céline Huyghebaert entreprend une démarche de recherche dans le but de mieux saisir la brève existence de son père et de la prolonger en quelque sorte. Elle assemble ainsi divers matériaux dont elle fera une exposition et un livre. Une impression de décousu pourrait résulter de ce récit composé d’une suite de dialogues, d’inventaires, de réflexions et de citations dont se compose l’ouvrage, mais ce n’est pas le cas. Les images pas toujours nettes, les photos de personnes pas toujours identifiées contribuent aussi à l’unité de l’ouvrage. Le flou et les interstices dans le tissu narratif sont autant d’espaces dans lesquels le lecteur peut insérer ses pensées et construire peu à peu sa propre image de ce père insaisissable. Le drap blanc est un objet littéraire inclassable, d’où surgit inopinément l’émotion.