Le 11 septembre 2001, Jürgen Habermas est chez lui en Allemagne, et Jacques Derrida est en Chine pour une série de conférences. Tout à coup, dans le monde entier, c’est l’horreur, une hécatombe qui engage une réflexion fondamentale sur ce qu’il en est désormais du lien entre le terrorisme et l’héritage des Lumières, c’est-à-dire entre les perspectives englobantes de fois prémodernes d’une part et les législations internationales, la souveraineté, la mondialisation, le cosmopolitisme, la citoyenneté et les nouvelles technologies d’autre part. Contrairement à Noam Chomsky qui perpétue la tradition russellienne du militantisme politique, nos deux philosophes inscrivent selon Giovanna Borradori leur analyse de cet « événement majeur » dans la lignée arendtienne de la critique sociale – c’est-à-dire dans une perspective où la philosophie, soutenant la citoyenneté contre la bourgeoisie, s’impose dans le contexte des traumatismes historiques du XXe siècle. Le terrorisme serait alors pour Habermas le résultat du choc de la modernisation accélérée et pour Derrida « un élément intrinsèque à l’expérience moderne », une sorte de maladie auto-immune.
D’abord publiés en 2003 aux États-Unis sous le titre Philosophy in a Time of Terror, les entretiens de cet important ouvrage dont il faut remercier l’auteure, permettent de renommer l’importance pour l’à-venir de la démocratie de garder absolument séparés le pouvoir politique et la foi, la laïcité garantissant l’existence même de la modernité et des institutions internationales. Cela dit, je suis loin d’être aussi certain que Giovanna Borradori qu’une réévaluation philosophique du projet et des idéaux des Lumières soit suffisante pour penser la question du terrorisme. Si l’approche pragmatique a démontré son incapacité à ouvrir l’interrogation sur l’éclatement du rapport entre terreur et territoire propre au 11 septembre, c’est parce que continue à être massivement dénié l’apport de la psychanalyse au sujet du malaise dans la culture. Comment articuler la citoyenneté mondiale et le droit cosmopolitique au droit du sujet si l’on ne prend pas en compte le terrifiant même, à savoir l’inconscient, c’est-à-dire le sexuel et l’infantile ?