Tel L’honneur perdu de Katharina Blum (Heinrich Böll, 1974), mais sous forme de reportage-vérité, le livre de Daniel Martin décrit l’assassinat public subi par un ex-président de l’Action démocratique du Québec (ADQ), Moncef Guitouni, qui est psychothérapeute de profession.
Nous sommes en août 1994, à la veille de la campagne électorale devant mener Jacques Parizeau au pouvoir avec sa promesse de référendum. Le magazine Le Point de Radio-Canada (SRC), plus particulièrement un triumvirat formé de Jean Pelletier, rédacteur en chef, Lise Ethier, réalisatrice, et Francine Pelletier, journaliste, présente un long reportage sur M.Guitouni, sous prétexte de faire l’apologie d’un immigrant qui a réussi. Le topo tourne plutôt à la critique acerbe du personnage assimilé à un chef de secte, à un manipulateur doublé d’un fraudeur. L’homme est expulsé de l’ADQ, perd cinquante pour cent de sa clientèle. Bref, il est détruit.
Mentionner ici que M. Guitouni est d’origine tunisienne est important, car l’argumentation de l’auteur est que celui-ci, quoique très bien intégré au Québec où il a pris racine depuis 1968, s’est ainsi vu attaqué en raison de son obédience souverainiste. La SRC, selon Daniel Martin, aurait sciemment voulu « casser » un immigrant, un « ingrat » ne reconnaissant pas le Canada comme son véritable pays.
L’honneur étant le primat de l’homme, M. Guitouni s’est férocement battu, a poursuivi la SRC, et a gagné.
Le livre, quoiqu’il convainque de la grave injustice vécue par M. Guitouni, souffre du même écueil que celui qu’a reproché l’auteur à la SRC, soit l’absence d’objectivité. En effet, Daniel Martin est un ex-patient de la victime et ne peut prétendre au détachement de l’investigateur. De plus, il n’a pas recueilli les commentaires des principaux intéressés de la société d’État. Au surplus, prétendre que la descente publique de l’immigrant Guitouni aurait fait perdre le référendum assombrit la sympathie prêtée d’emblée à la cause défendue.
Cependant, le livre débusque la façon cavalière et inique dont abusent parfois les médias à des fins partisanes et intéressées. On ne peut que déplorer, avec l’auteur, que Jean Pelletier ait effectivement réussi à briser son immigrant indépendantiste et que Francine Pelletier ait obtenu une récompense à la suite de ce reportage (le Prix René-Lévesque !). Un honneur non mérité, comme l’a prouvé le jugement très critique rendu par la cour.