C’est une lettre d’amour à quatre écrivaines disparues prématurément. C’est une prière sur la tombe de quatre femmes dont le suicide devrait nous inciter à nous interroger sur l’horreur ordinaire de notre monde. C’est un exorcisme, ce sont des paroles d’autodéfense contre une entreprise globale d’asservissement, de toute évidence pleinement consentie.
Comme l’explique l’essayiste dans son introduction, il cherche à interpréter le fait que ces écrivaines « aux prises avec les démons de la dépression, aient toutes été conduites, pour exprimer l’inexprimable de leur condition, à utiliser des images de guerre et d’oppression totalitaire ». Beaudry s’adresse directement, à tour de rôle, à chacune des quatre disparues et prend le lecteur à témoin de son discours d’élucidation. À Sylvia Plath, il confie voir des liens entre, d’une part, la dénonciation de l’enfermement domestique dans son œuvre et, d’autre part, son identification à une Juive imaginaire et son choix de s’enlever la vie par le gaz. S’adressant à Ingeborg Bachmann, il dit comprendre que celle-ci ait pu sentir des relents de fascisme dans les relations entre hommes et femmes. À Sarah Kane, il affirme ne pas être étonné de voir, dans sa pièce Anéantis, un soldat surgir pour assimiler à une zone de combat la chambre où vient de survenir un viol. Enfin, Beaudry conforte Nelly Arcan dans ses efforts désespérés pour nous montrer comment « l’adhésion des masses consommatrices aux modèles imposés » est en voie de dépasser les ambitions les plus folles des idéologues fascistes.
Parmi ses nombreuses références, Jacques Beaudry cite le film Hiroshima mon amour et l’on a alors envie de comparer son essai à une autre production d’Alain Resnais : Nuit et brouillard. Le documentaire de Resnais sur les camps de concentration et d’extermination s’appliquait à montrer, pour la première fois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, comment l’élimination de millions de personnes a pu être organisée de manière systématique et routinière, à tel point qu’elle en était devenue une entreprise de normalisation de son dessein même. L’essai de Beaudry est à ranger parmi ces œuvres exigeantes, dont une vertu essentielle consiste à nous ouvrir les yeux sur l’insoupçonné.
Voir aussi : Les jeunes femmes et la Mort, par Renaud Longchamps