Dans un cimetière, une jeune femme est agressée en pleine nuit et laissée pour morte par quatre voyous. Un bon Samaritain intervient et la transporte chez lui pour lui prodiguer les soins nécessaires. Mais le sauveur autoproclamé ira de surprise en surprise dans ce récit ciselé où la chaîne de causalité fouettera toutes ses certitudes. Plein d’empathie, l’inquiétant personnage d’Edgar perdra rapidement tous ses repères – identitaires, entre autres – à mesure qu’il absorbera les souffrances de la victime qu’il a recueillie, à la manière d’une fusionnelle Eucharistie sacrilège.
Larry Tremblay, bien connu pour son théâtre, dégoupille une grenade qui a tôt fait de nous exploser en pleine gueule, dès la première page lue. Grand bien nous fasse ! Le Christ obèse est de ces œuvres hypnotiques dont on se réveille complètement groggy. Comme ébranlé par un coup de poing que l’on n’aurait jamais vu venir. Celui à qui l’on doit des pièces déroutantes comme The Dragonfly of Chicoutimi ou Le ventriloque nous entraîne dans une plongée aux confins d’une spirale psychologique démente, celle d’Edgar, un type asocial au prénom bien peu innocent. Rythmé, précipitant le lecteur à la limite de l’essoufflement, le récit dense et intense va à l’essentiel et hurle l’urgence d’agir. La phrase y est donc concise, épurée ; le style, âpre et dur. Le Christ obèse ne s’apprécie pas avec retenue. Il se lit avec toute la fougue qu’on a mise à l’écrire.
Si lire Le Christ obèse, c’est forcément se mettre comme lecteur en position de vertige claustrophobe, c’est aussi s’abandonner au plaisir intertextuel où se distinguent les leurs glauques de Poe. Mais pour en prendre toute la mesure, il faut s’imaginer Lautréamont en visionnaire de l’horreur, en train de rêver aux abominations de John Wayne Gacy : dans son cauchemar, il eût pu voir marcher dans un cimetière isolé, main dans la main, Edgar le sociopathe et une certaine petite fille borgne aimant trop les allumettes… Tremblay met en place les éléments propices à l’édification progressive d’un univers hitchcockien, tant la mission, noble au départ, dégénère au point de voir le récit prendre rapidement des allures de suspense tout à fait convaincant, malgré son côté outrageusement baroque. Larry Tremblay excelle dans l’échafaudage d’un engrenage logique, préambule à l’exposition d’une implacable mécanique meurtrière. À lire de toute urgence !