En décrivant comme des ovins une multitude de ses semblables, le personnage André Taché s’est trouvé une cause aisément défendable. Oui, l’être humain est une bête pétrie d’habitudes. Il aime ses ornières surtout quand elles lui promettent une économie de temps. Il reçoit comme un compliment le « tu n’as pas changé » que lui sert un ami retrouvé. Il fréquente un seul restaurant, s’y rend par un trajet immuable, hésite à peine avant de commander ce qu’il a mangé la veille. Dès lors, celui qui prétend renouveler son quotidien et qui pousse l’audace jusqu’à vouloir changer son nom lance des ondes de choc dans sa parenté et dans tout l’entourage. Les réactions en diront long sur l’aptitude ou la réticence de chacun à laisser autrui réorienter sa vie.
Michel Lefebvre mène avec humour une charge trépidante contre le conditionnement qui nous englue. Tout y passe, depuis les vieillottes roueries du vendeur d’automobiles jusqu’aux homogénéisations des McDonald’s ou de Loto-Québec en passant par la langue abâtardie qui enchevêtre l’anglais et le français et par les tics irrationnels qui émaillent les conversations familières (« genre »). On aura droit au spectaculaire atterrissage d’une Lincoln silver sur le toit d’un McDonald’s, mais l’amateur de changements ne fera d’autres victimes que la bêtise, la paresse, j’allais dire l’ovinisme. De louable façon, le mutant André Taché, même recyclé sous un autre nom et mobile sous ses identités, conservera une certaine tendresse pour les plus humbles. Le plus caustique sera réservé aux snobs et aux puissants. Si l’on se sent visé…