La carrière d’Edwidge Danticat va bon train : à 36 ans, cette Haïtienne qui habite aux États-Unis depuis un quart de siècle compte déjà à son actif plusieurs titres (romans et nouvelles) qui ont été loués tant par la critique américaine qu’européenne. Son dernier roman, Le briseur de rosée, devrait connaître le même succès que les publications précédentes car l’auteure a l’étoffe d’une grande romancière. Dans ce roman bien ficelé, Edwidge Danticat met en scène des personnages blessés qui tentent de rassembler leurs souvenirs fissurés, pour le meilleur et pour le pire.
L’artiste Ka, qui signifie « bon ange » en créole, a immortalisé son père dans une sculpture. Au cours du voyage qu’elle fait avec lui pour livrer l’œuvre à une actrice célèbre, son père, incapable d’accepter l’hommage que lui rend sa fille, lui révèle un lourd secret de sa vie passée dont témoigne encore et toujours une profonde balafre sur sa joue.
Dans un chassé-croisé de réminiscences, Edwidge Danticat raconte entre autres l’histoire d’un jeune homme de dix-neuf ans qui, un jour, décide de se joindre à la grande famille des miliciens. « On lui avait fourni une carte d’identité, un treillis d’uniforme bleu indigo, un chapeau mou, un pistolet P38 et le privilège de marcher au pas dans tous les défilés des jours fériés nationaux. » Commence alors pour lui la carrière de tortionnaire qui, sous Duvalier, ouvre la porte à toutes sortes de privilèges.
Voilà un roman intéressant et troublant sur une époque qui n’en finit plus de finir. Un témoignage des atrocités passées dont l’évocation, malheureusement, ne semble pas guérir les hommes. Et se pose ici encore avec acuité la question déconcertante du rachat et du pardon.