Le boulevard périphérique, c’est la voie qu’emprunte chaque jour le narrateur du beau roman d’Henry Bauchau pour se rendre au chevet de sa bru qui se meurt d’un cancer dans un hôpital de la banlieue parisienne. Pendant ses interminables trajets, lui revient le souvenir de Stéphane, le merveilleux ami qui, au début de la guerre, l’a initié aux bonheurs de l’alpinisme et qui sera exécuté pour ses activités de résistant.
La perte de cet amour de jeunesse – trop tard reconnu – s’ajoute à une série de demi-ratages qui se sont égrenés tout au long de sa vie d’écrivain et de psychanalyste. Le constat de ces échecs nous est livré au compte-gouttes, presque par inadvertance, par ce beau-père incertain qui ne sait trop comment se comporter devant sa belle-fille mourante. Ici, la plume de l’auteur se fait d’une sobriété telle que le récit confine parfois au procès-verbal.
Pour évoquer le souvenir de l’ami disparu, l’auteur a recours à un registre plus ample. De lui, il évoque surtout les souvenirs lumineux qui témoignent de l’extraordinaire capacité de ce « seigneur de l’à-pic et du surplomb» à escamoter les obstacles et à trouver sa voie par la seule force de sa volonté. Comme pour ajouter à l’éclat de ce personnage solaire, il lui crée un pendant allégorique, plus sombre et plus complexe, sous les traits de Shadow, l’officier S.S. qui le fit exécuter.
Sur ces histoires de mort et de disparition, Bauchau, écrivain belge de 95 ans, a élaboré une méditation toute en finesse et en émotion retenue. Avec sa grande économie de moyens, il livre du même coup un témoignage d’une grande justesse sur l’accompagnement dans la mort. Avec mélancolie mais sans jamais tomber dans le désespoir, Le boulevard périphérique nous amène jusqu’à la frontière du lâcher-prise. Un très beau livre !