L’oxymore du titre est accrocheur. En effet, comment peut-on connaître le bonheur tout en étant triste ? L’autrice, formée à l’université Princeton et auteure de La force des discrets (quatre millions d’exemplaires vendus), fait la démonstration dans son dernier essai que la tristesse est le sel de la vie et que sans la première, cette dernière manquerait singulièrement de relief.
Surtout, la tristesse constituerait le patrimoine commun qui relie les humains entre eux.
En effet, selon ce que nous dit Susan Cain, personne ne peut échapper à la tristesse. Celle-ci fait partie intrinsèque de l’expérience humaine. L’auteure en donne pour preuve la quête incessante à laquelle s’adonnent les êtres humains pour retrouver une mythique unité perdue, comme Adam et Ève ne cessant de pleurer leur paradis perdu ou ceux qui cherchent toute leur vie l’âme sœur. Les spiritualités qui prêchent la dissolution du moi pour atteindre l’union universelle et les pulsions qui nous poussent à rechercher des attachements qui, du moins symboliquement, nous restituent la chaleur et la sécurité de la vie intra-utérine en sont d’autres illustrations.
Le sentiment d’incomplétude est donc le fonds de commerce de toute l’humanité. À ce sentiment universel s’ajoute la tristesse qu’entraînent les inévitables coups du sort parsemant une vie : les deuils, les séparations, les maladies, les pertes de toute nature, etc. Comme le chante Gilles Vigneault, « tout le monde [serait-il] malheureux tout le temps » ? Ce n’est pas le cas puisque cette tristesse déclenche la compassion, nous dit Susan Cain. La compassion unit les gens parce que « nous partageons une souffrance commune ».
À preuve, « ceux qui préfèrent les chansons gaies les écoutent en moyenne 175 fois, mais ceux qui préfèrent les chansons ‘douces amères’ les écoutent plus de 800 fois ». « Nous sommes nombreux à aimer les tragédies, les jours pluvieux, les films larmoyants […] Ce que nous aimons ce sont les choses tristes et belles. » Susan Cain nous invite donc à embrasser cette tristesse parce que celle-ci est la source de toute créativité. « Très peu de gens grandissent grâce à la réussite. Les gens grandissent grâce à l’échec. Ils grandissent grâce à l’adversité. Ils grandissent grâce à la souffrance. »
À la fois livre de réflexion sur l’importance de la tristesse dans toute expression culturelle et livre de croissance personnelle fournissant des moyens pour accueillir cette tristesse, Le bonheur d’être triste est également un récit de vie. En effet, l’auteure puise abondamment dans ses expériences personnelles, en particulier les relations qu’elle entretenait avec sa mère, pour étayer son propos. Sans être un livre majeur, Le bonheur d’être triste de Susan Cain est d’une lecture intéressante, voire stimulante, et pas triste du tout.