Un sujet inépuisable, neuf auteurs hétéroclites, un traitement kaléidoscopique.
« Peut-on séparer un(e) artiste de son œuvre ? » C’est la question qui trône au sommet de la quatrième de couverture. Neuf auteurs chercheront à y répondre sous des angles variés. Certains se lanceront dans des considérations de principe, d’autres feront état de leur expérience personnelle, d’autres encore instrumentaliseront leur texte même pour explorer la question.
Cette interrogation fait d’emblée penser aux débats qui font rage sur la pertinence d’oblitérer ou non l’œuvre d’un artiste au comportement personnel répréhensible, voire scandaleux. Mais l’ouvrage aborde de manière beaucoup plus large diverses facettes, parfois inattendues, de la question – au point où l’on se demande parfois si l’on est encore dans le sujet, mais peu importe, c’est un peu la beauté d’une œuvre collective où chacun a carte blanche.
À tout seigneur tout honneur : après l’essai liminaire de Jérémie McEwen, grand orchestrateur de l’opus, la parole est d’abord donnée à trois artistes. L’animatrice d’ICI Première, Rebecca Makonnen, refuse catégoriquement de « distinguer l’artiste de son œuvre », ouvrant significativement son essai sur une « énième » accusation de viol contre Marilyn Manson rapportée par Billboard. Sa position est claire : « […] moi, je suis fucking tannée ». Safia Nolin, pour sa part, livre un témoignage « d’une intimité désarmante », nous dit J. McEwen, sur son rapport avec les médias. Dans ses mots à elle, elle nous parlera du « goût amer, voire décâlissant du triste constat que ma vie artistique est maintenant polluée par ma vie publique ». Enfin, Caroline Monnet, dans un article qui prend la forme d’une entrevue, nous parle des liens entre ses origines anishinaabes et son travail.
La deuxième section convoque l’univers du théâtre. Alexandre Goyette nous raconte avec vivacité l’épopée de son unique pièce, King Dave, devenue un film, après quoi la comédienne Marie-Ève Trudel se fend d’un petit morceau dramaturgique mettant aux prises l’« Artiste : une femme d’âge indéterminé » et l’« Œuvre à naître : une pièce de théâtre que l’artiste d’âge indéterminé a en tête depuis un temps indéterminé ». La question est de savoir pourquoi la première a tant de mal à accoucher de la seconde.
Le troisième volet du triptyque est réservé à trois représentants du monde littéraire. Gabriel Cholette, « une nouvelle voix essentielle des lettres québécoises » (J. McEwen), traite d’abord de la limite entre fiction et autofiction, empruntant d’ailleurs pour ce faire la forme d’une nouvelle qui « jou[e] constamment sur cette ligne très mince entre le dire et le non-dire, entre le fait de nommer et de laisser libre ». Suit Eftihia Mihelakis, qui choisit de relater sa participation à un colloque féministe à Paris, où elle ne sera pas nécessairement à l’aise. « J’ai l’impression que je ne vais peut-être nulle part tellement je me sens seule dans cette vie que je mène où rien ne bouge, où je ne sais rien, où j’ai l’impression que ni la littérature ni le féminisme ne peuvent me ranimer du coma existentiel dans lequel j’ai sombré depuis que j’ai terminé mes études doctorales en littérature comparée. » Enfin, Laurie Bédard, qui sévit ordinairement sur les réseaux sociaux, a été invitée par le directeur de l’ouvrage à lui écrire « un long statut » ayant pour titre « Les écrivains et les écrivaines ne nous appartiennent pas ». Elle y prend ses distances avec la moraline dans une analyse honnête : « Je n’ai jamais pensé […] être capable à moi seule de juger le bon moment et l’endroit où […] on aurait le droit de séparer le bon du méchant […] ».
Bref, neuf textes qui partent dans tous les sens, chacun avec la personnalité de son auteur, pour nous faire constater, dans les mots de Jérémie McEwen, « que le lien artiste-œuvre est à la fois inévitable et limité. En un mot : que ce lien se pense dans la nuance ».