Ce roman repose sur un troc : un personnage enseigne à l’autre la peinture et celui-ci donne style et vie aux mémoires du premier. Dès lors, l’alternance s’impose : le narrateur livre ses commentaires, puis passe à la biographie de son maître de dessin qui, après un tour de piste, lui redonne la parole. Malgré la distance entre les deux univers, l’ouvrage trouve son unité dans son assaut contre les séquelles du colonialisme français.
Au départ, le narrateur consomme comme chacun l’inepte information de la télévision : « […] on savait juste qu’elle [l’armée irakienne] était la quatrième armée du monde, on le savait parce qu’on le répétait ». Ce piètre citoyen résiste mal au racisme des commerçants qu’il fréquente. C’est pourtant lui qui transmet les terribles souvenirs de guerre de Victorien Salagnon, baroudeur de profession et peintre par besoin vital. De l’Indochine, du maquis français, mais surtout de l’Algérie, Salagnon a tout connu. Pour survivre, il apprit à obéir et à voiler les questions. Quand, au terme de la reconstitution, le narrateur demande s’il a torturé, il répond :
« – Ce n’est pas le pire que nous ayons fait.
– Mais alors, quoi ? quoi le pire ?
– Nous avons manqué à l’humanité. Nous l’avons séparée, alors qu’elle n’a aucune raison de l’être. […] Ce monde […], il n’y a pas de saloperie que nous n’ayons faite pour le maintenir ».
Cette hiérarchisation des humains, elle sourd d’un racisme latent et le tonifie. Elle conforte les armées assez riches pour tuer à distance : « Le pilote qui a fait ça n’a rien vu ». De l’armée coloniale encouragée aux ségrégations, le mépris passe à la police. « Les Arabes sont contrôlés huit fois plus, les Noirs quatre fois plus. Sans que personne ne soit arrêté d’ailleurs. Il ne s’agit que de contrôle. »
Le plaidoyer est mordant, d’autant plus qu’il provient d’un guerrier qui a cru en sa mission jusqu’à la tragédie algérienne : « La colonie est un ver qui ronge la République. Le ver nous ronge de ce côté-ci de la mer, et quand nous rentrerons, quand tous ceux qui ont vu ce qui s’est passé ici rentreront, la pourriture coloniale passera la mer avec eux. Il faut amputer ». Au sortir de ce réquisitoire, qui oserait chanter encore « Au temps béni des colonies » ?
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