Il n’y a pas si longtemps, le mot « bonheur » était sur toutes les lèvres, et à peu près dans toutes les vitrines. Psychologie parfois, psycho-pop souvent, spiritualités anciennes remises au goût du jour, élans et ébats commerciaux, philosophies boiteuses ou raisonnements solides, titres pompeux ou assoupissants ou assouplissants, théories gratuites et bonheur payant.
Mais les questions du bonheur et de la souffrance ne remontent pas à hier. Ni même à Sénèque, Jésus ou Bouddha. Depuis toujours ou presque, l’homme vit, pense, change, crée, recrée, oublie, se bat et fuit. Le drame, c’est qu’un mélange absolument pas homogène, fait de pertes de repères, de mercantilisme, d’incrédulité, d’empressement, de confusion – bref, des maux et mots modernes –, a récemment donné la nausée à plus d’un. Principe de saturation. Principes d’insatisfaction. De quoi développer une allergie à toute « belle parole ». De quoi supposer qu’« être sain n’est pas si sain », que les sereins sont plates, ou indifférents, ou simplistes. Je ne vais certainement pas lire un ouvrage de spiritualité. Le bonheur, ça ne m’intéresse pas : je n’en ai pas besoin pour être heureux.
Le dernier livre cosigné par le Dalaï-Lama et le psychiatre et neurologue Howard Cutler – troisième de la série L’art du bonheur – ne serait-il pas qu’un autre amas d’idées abstraites ? Non, que non. Quiconque en lit cinquante pages comprendra qu’il a dans les mains un livre important, essentiel. On y aborde sans concession la question des préjugés, de la haine, du racisme, du nationalisme, des fondamentalismes et d’une ribambelle d’ismes qui affectent notre rapport à autrui. Le « je », le « nous » et le non moins terrible « eux ». Des recherches scientifiques fascinantes, des propositions concrètes, des anecdotes touchantes aussi, amenées dans un dialogue où le Dalaï-Lama, évitant adroitement la pure spéculation religieuse ou philosophique, apparaît comme un des grands penseurs du monde contemporain.
Quelles sont les racines neurologiques du préjugé ? L’être humain est-il fondamentalement malveillant ? Comment faire face à un monde aussi profondément troublé ? L’optimisme et la résilience ont-ils encore leur place… ?
Si vivre dans nos sociétés modernes est un art, voilà le nouveau manuel de l’artiste.