Ça commence par un épouvantable drame. Lors d’une partie de chasse, Landreaux Iron tue accidentellement Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich. Dévasté par la honte et la culpabilité, et d’un commun accord avec sa femme Emmaline, il décide de donner son plus jeune fils, LaRose, à Nola et Peter, les parents de la victime, pour apaiser leur souffrance et conjurer le sort.
Ainsi le veut la tradition ojibwée dont lui et sa femme sont issus. « La poisse s’arrête rarement après un seul événement. Tous les Indiens le savent. Y mettre fin rapidement exige de grands efforts, ce pourquoi LaRose avait été envoyé […]. C’était un prénom […]qui avait appartenu aux guérisseurs de [la] famille depuis plus d’un siècle. » Attribué la première fois à sa trisaïeule par un Blanc qui en était tombé follement amoureux, et depuis lors transmis à quatre descendants et à autant de destins, ce prénom avait le pouvoir de protéger celui ou celle qui le portait.
Avec un tel point de départ, le roman aurait aisément pu sombrer dans le pire des mélos. Ce n’est pas le cas. Contre toute attente, la substitution finit par fonctionner. Petit à petit, les parents de LaRose apprennent à se contenter des quelques visites statutaires que leur rend leur fils. Du côté des Ravich, on avait accepté le marché en espérant que « l’absence de l’enfant finirait par saigner à blanc le cœur de Landreaux » mais, fidèle à la réputation de guérisseur que lui confère son prénom, LaRose réussit à gagner aussi bien le cœur de Peter que celui de Nola. « Il ne savait pas pourquoi il ne racontait plus tout ce qui lui passait par la tête. C’était comme si la bouche était équipée d’une petite passoire qui ne laissait passer que les mots gentils. »
Mais ce LaRose n’est pas le seul ou même le principal personnage de ce roman polyphonique qui, de LaRose en LaRose, nous fait voyager à travers les époques et nous fait traverser la frontière qui sépare le monde des esprits du monde des humains. Ce sont les vies de tous ces LaRose qui constituent la matière du roman et, à travers toutes ces vies, c’est le sort tragique des peuples amérindiens qui nous est raconté en filigrane. Mais, sans les taire, Louise Erdrich n’appuie pas sur les malheurs qui se sont abattus sur son peuple, même si la liste est longue. Comme la grande Toni Morrison, quand elle parle de la condition des siens – elle est à moitié ojibwée –, Louise Erdrich le fait avec finesse, par une allusion ou en ajoutant un détail révélateur ici et là, surtout sans jouer les victimes. Jamais l’écriture de Louise Erdrich ne s’est faite aussi subtile, aussi évocatrice que dans ce roman qui affirme la possibilité de la rédemption même après les pires fautes.