En apparence, mais en apparence seulement, le récit tient en quelques heures. Repas d’anniversaire auquel participent trois femmes, dont deux sœurs, et le fils de l’une d’entre elles. La rencontre invitera cependant l’auteure à de constants retours vers le passé, d’où il ressortira que ces trois femmes doivent constamment renégocier leur relation avec la mémoire et le bonheur. Car, pour chacune de ces femmes qui parviennent au mitan de la vie, surgissent de l’enfance, de l’adolescence et des rencontres amoureuses ce que Dominique Blondeau appelle bellement et avec insistance des « larmes de fond ». Les deux sœurs, Agnès et Julia, ont vécu au creux de la même famille, mais y ont reçu des traitements différents. Elles s’aiment, mais peinent à se le dire. Quant à la troisième femme, Ulla Sylvia, cette amie a beau provenir d’une autre culture, elle aussi porte discrètement la marque indélébile de douleurs anciennes. Portraits nets, contrôlés, terriblement plausibles.
Quant aux hommes, l’un présent, l’autre évoqué, ils assument le rôle souvent dévolu aux femmes par un certain machisme : ils sont beaux, séduisants, amplement pourvus des talents requis par les salons, mais on leur sait gré de se taire. Le père, que Julia n’a pas revu depuis un quart de siècle, poursuit une carrière de photographe célèbre et comble son fils tout en ignorant la mère. Même à distance, il empoisonne. Anthony, grand fils de 25 ans, pianote et fait danser les dames, mais il ne voit pas pourquoi le père mériterait des reproches.
Ce tableau, Dominique Blondeau l’établit en recourant une fois de plus à une écriture précise, minutieuse et pourtant émouvante. L’attention portée aux objets, à leur beauté comme à leur parfum, ne se dément jamais. La table est mise avec raffinement, le piano doit contribuer à l’atmosphère désirée, les cadeaux tiennent du symbole autant que du message précis. Ces femmes ont beaucoup appris de la vie. Il n’est pas dit que la vie les ait toujours payées de retour.