On dit de Benoit Jutras qu’il est l’une des « voix » les plus prometteuses de la nouvelle génération de poètes québécois. Il a reçu pour son premier recueil, Nous serons sans voix (Les Herbes rouges, 2002), le prix Émile-Nelligan.
Nous entendons effectivement une « voix » tentant de pénétrer, de fouiller l’énigme du monde, du « réel », de ce que l’on dit être la « réalité ». Il lui faudra, à cet effet, traverser plusieurs couches de significations car, comme l’a énoncé Gaston Bachelard : « Le concret est caché ». Et cette quête apparaît structurée selon l’ordre des saisons, elles-mêmes ponctuées de « Chants de travail », qui présentent les meilleurs passages du recueil.
Le « réel », comme le « moi », est ainsi mouvant, changeant, multiforme ; les repères sont flous. « Je rêve de changer de vie. À chaque fois, mon ombre se multiplie. » Tout semble être à la fois sous le signe d’une permanence difficile et d’une métamorphose perpétuelle – comme la beauté et l’horreur peuvent se côtoyer. Et nous serions, avant tout, les « descendants » de la nuit, des déserts… et habiterions des trous noirs… Notre monde apparaît aussi d’une incroyable dureté, à la limite de la malfaisance. Le poète écrit dans le premier « Chant » : « Je n’entends plus rien que cette ancienne rumeur de chantier, un évangile de fer sale et d’insultes secrètes qui me traverse, me lave, comme on le dirait d’une mère ».
Et nous marcherions seuls – avec notre noirceur –, seuls dans un univers maudit.
L’ensemble du recueil est d’une belle écriture, profonde, à la limite de l’évocation d’un mystère. Malheureusement, nous sommes en présence d’une quête poétique beaucoup trop hermétique – presque ésotérique – malgré toutes ses qualités esthétiques.