« Je me nomme Tinamer de Portanqueu ». Telle est l’affirmation initiale de l’héroïne et narratrice de L’amélanchier, qui n’est pas sans rappeler l’incipit des Demi-civilisés de Jean-Charles Harvey, en 1934 : « Je me nomme Max Hubert », y lisait-on. Jacques Ferron était déjà un auteur prolifique lorsque parut, en 1970, l’édition princeps de ce récit qui a été parfois publié comme roman et dont le titre fait référence à un arbuste à floraison précoce annonçant le retour des oiseaux au printemps. Cette édition fut suivie de pas moins de six autres, dont une à Paris en 1973 et une en anglais en 1975 dans une traduction de Raymond Y. Chamberlain.
L’amélanchier est une sorte de récit des origines, celles de Tinamer (de cinq à vingt ans), de sa famille, de Jacques Ferron lui-même et de ses ancêtres, tout autant que celles du pays, voire de l’humanité. Le texte évoque les promenades de la narratrice dans « le bois bavard et enchanté » de son enfance, seule ou en compagnie de son père, « Léon de Portanqueu, esquire ». D’esprit manichéen, ce dernier a « partagé le monde en deux unités, franches et distinctes, qui figur[ent] le bon et le mauvais côté des choses » et qui correspondent à l’arrière et à l’avant de la maison familiale. Le récit mêle politique, histoire, actualité, médecine et littérature dans une veine scripturale foisonnante qui laisse place à l’humour, au cynisme, au sarcasme et à l’ironie, et qui utilise des personnages aussi bien réels qu’imaginaires ou mythiques, tout en empruntant ouvertement à des œuvres bien connues, telles la Bible et Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
La rhétorique de L’amélanchier va « du burlesque à la tragédie », note avec à-propos le professeur Jean-Marcel Paquette, dédicataire du récit et auteur, dès 1970, du premier essai consacré à Jacques Ferron, pour qui son attachement ne s’est jamais démenti. Sous la plume de Tinamer, le polémiste Ferron apparaît souvent. Les cibles sont non seulement visées mais clairement identifiées, comme le cardinal Paul-Émile Léger, le juge Marcel Trahan, l’universitaire et critique littéraire Northrop Frye… Le onzième chapitre dénonce vertement, par lieux et protagonistes interposés, les soins hospitaliers déficients donnés au Mont-Thabor, un établissement psychiatrique désignant l’ancien Mont-Providence, aujourd’hui l’Hôpital Rivière-des-Prairies : Léon de Portanqueu y est geôlier et Jacques Ferron y a pratiqué la médecine en 1966 et 1967. Le dossier noir d’un patient réel y est décrit en détail.
Voilà du reste un exemple d’éclaircissements et de précisions que l’on découvre dans les nombreux documents qui accompagnent la nouvelle édition de L’amélanchier. Il s’agit d’une série de quatre annexes et de trois appendices expliquant les multiples références du récit, qu’elles soient personnages, lieux physiques, faits biographiques ou historiques. On y apprend notamment que Ferron, « néglig[eait], de son propre aveu, de corriger ses épreuves », ou les révisait « avec timidité », et qu’il considérait, non sans raison je crois, « certains passages […] quelque peu confus ». En revanche le texte offre à l’occasion des formules brillantes où se révèle un des aspects les plus caractéristiques de l’écriture colorée, condensée et cinglante de Ferron : « la psychiatrie-à-bibi » du Mont-Thabor, « les sourires à dentiers et l’évangile selon Colgate et Palmolive », « la Pentecôte du napalm » de la guerre du Vietnam, où la « victoire nazi-nazo-américaine » est envisageable, les ordres « de Sa Seigneurie Nénême Trahin », derrière laquelle se profile le juge Trahan… En plus des pertinentes et fréquentes annotations, le lecteur apprécie le glossaire terminal qui renseigne abondamment sur le vocabulaire proprement ferronien et sur des mots rares ou dont l’usage s’est perdu. On ne peut que se réjouir de cette huitième édition de L’amélanchier, établie et annotée par Julien Vallières avec la collaboration de Pierre Cantin.
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