« Je me nomme Tinamer de Portanqueu. Je ne suis pas fille de nomades ou de rabouins. Mon enfance fut fantasque mais sédentaire de sorte qu’elle subsiste autant par ma mémoire que par la topographie des lieux où je l’ai passée, en moi et hors de moi. Je ne saurais me dissocier de ces lieux sans perdre une part de moi-même. »
Voilà, tout y est, ou presque : l’enfance, l’ancrage dans un pays qu’il faut sans cesse s’approprier, la quête et la perte d’identité. Et, bien sûr, une écriture précise et envoûtante. Pour sa fille unique, Léon de Portanqueu, esquire, dessine habilement une frontière entre le bon côté des choses et le mauvais, entre le monde de l’enfance et celui des adultes, « vilains comédiens jouant toujours le même rôle, [qui] ne comprennent pas que l’enfance est avant tout une aventure intellectuelle où seules importent la conquête et la sauvegarde de l’identité », empruntant tantôt à l’univers onirique de Lewis Carroll pour nous entraîner à sa suite du bon côté des choses, et redevenant tantôt l’ardent polémiste qui dénonce la conduite absurde qui nous caractérise à d’autres moments (et qui fait ici écho à l’expérience de Ferron en milieu psychiatrique).
Tout à la fois conte et roman, selon le point de vue que l’on adopte, L’amélanchier, d’abord paru aux éditions du Jour en 1970, illustre toute la complexité et la richesse de l’œuvre de Jacques Ferron, tant sur les plans thématique, sémantique et stylistique. Chaque fois que je m’y replonge, cherchant le meilleur angle pour en parler, je me retrouve aussitôt sous l’emprise d’une écriture dont l’immense pouvoir évocateur me fait oublier ma propre quête. Riche et complexe, ce roman l’est à plus d’un égard et plusieurs lectures ne parviennent pas à émousser son pouvoir d’attraction. Pour résumer le tout, l’envie est grande d’emprunter à la langue forestière de Monsieur Northrop, tout droit sorti d’Alice au pays des merveilles, le mot de la fin : Ouhonnedeurfoule-dé ! Ouhonnedeurfoule-dé !