Ce recueil s’ouvre sur une affirmation lourde de sens : « L’allée du souvenir est un cul-de-sac », et « une voie sans issue », ajoute le poète en terminant son périple dans son enfance et sa jeunesse à la lueur de l’adulte qu’il est devenu.
Né en 1959 à La Nouvelle-Orléans, David Cheramie est un spécialiste des cultures cadienne et créole et est reconnu pour son implication dans la revitalisation de la langue et de la culture françaises en Louisiane. L’allée du souvenirest son troisième ouvrage. Son premier recueil, Lait à mère(1997), est un véritable réquisitoire contre le choix linguistique des parents de sa génération qui ont décidé qu’américanité signifiait anglicisation : « Plein de mots qui ont été garrochés par le châssis par mon pop et ma mam pour faire de moi un American. One nation under God ». Le poète réfute ce choix : « Mom, why didn’t you teach me French ? » Cheramie n’a pas d’autre choix que de passer par-dessus la génération traîtresse pour retourner à celle de ses grands-parents, qui parlent toujours français. Le lait de sa mère est un « lait amer ». Il ira étudier en France.
L’allée du souvenirs’inscrit dans la suite de Lait à mère. La colère a disparu, la langue ne fait presque plus appel aux expressions cadiennes, mais une certaine amertume demeure. En témoigne une courte suite de cinq poèmes qui s’ouvre avec « Aspirine », dans laquelle les composantes des phrases ont « perdu » leur ordre logique, ce qui crée des textes dont le sens échappe au lecteur à moins qu’il réussisse à recomposer les phrases. Le poème qui suit ces textes reprend cette confusion en l’appliquant à la situation des Cadiens. Professeur, il pense « à [s]a présentation / Sur la longue et douloureuse histoire de la Louisiane / Française une suite de rendez-vous manqués ». « Comment raconter tant de crève-cœurs et de déboires / Dans une heure académique de cinquante minutes ? »
Si la question de l’identité traverse tout le recueil, elle le fait en lien avec le parcours de vie du poète. Cette allée est celle de Cheramie. Du « fromage Kraft » de son père au « fromage cheddar au lait cru certifié bio », qu’est-ce qui a changé fondamentalement ? Père déterminé à élever ses enfants en français, il replonge dans son passé et celui de la Louisiane, remontant jusqu’aux Amérindiens, premières victimes « des hommes venus de loin ». Aux souvenirs personnels vrais ou inventés (« Que le souvenir soit une fonction de l’imaginaire / C’est le privilège et l’avantage de l’âge ») se greffent des événements récents : la violence généralisée, le marathon de Boston (même si la date qu’il donne ne correspond pas à celle de l’attentat), le cadavre du petit Aylan retrouvé sur une plage turque en 2015.
Mais c’est la nostalgie de la jeunesse disparue qui court à travers les pages : son père, sa mère, les lieux comme le canal Yankee, qui longe le bayou Lafourche où habitait sa famille : « Je savais qu’on était différents / Ce n’était pas le même monde / Qu’on voyait à la télévision en noir et blanc / Cette vie américaine était totalement différente / De ce que je voyais tout en couleurautour de moi ».
Tout en se racontant, Cheramie trace un portrait évocateur et touchant de son peuple dans une langue qui se teinte des couleurs et de la rythmique cadiennes. En refermant le recueil, on demeure avec cette question douce-amère : qui est dans ce cul-de-sac ? Le poète ? Tout son peuple ? L’ensemble de l’humanité ? Peut-être toutes les réponses sont-elles bonnes.
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