Voici un petit livre appelé à ébranler de grands mythes. Le peu que nous pensions tenir au sujet d’Attila, Jean-Pierre Tusseau le remet en question et démontre qu’il ne se fondait que sur d’improbables légendes. « Le passage en Gaules d’Attila n’aura pas dépassé trois ou quatre mois. La gigantesque bataille, présentée comme l’affrontement de deux mondes, la confrontation de la civilisation et de la barbarie, n’a guère duré plus d’une ou deux journées et l’armée romaine était majoritairement composée de ‘barbares’. » Quant à l’émouvante rencontre du « fléau de Dieu » et de sainte Geneviève, peut-être nous séduirait-elle plus profondément si quarante ans n’avaient pas séparé la présence des deux personnages dans le même lieu.
Si Tusseau liquide assez efficacement plusieurs mythes tenaces, il ne parvient pas aussi parfaitement à réhabiliter Attila jusqu’à en faire un modèle de délicatesse. Oui, l’individu est frotté de grec et de latin, en raison de ses séjours comme « invité/otage » parmi les lettrés de la Rome antique, mais cela ne l’empêchera jamais d’apprécier l’art exquis de l’empalement ou les vertus aphrodisiaques des massacres massifs. Même l’amitié entre Attila et le Latin Aetius, pourtant verrouillée par un serment solennel de soutien mutuel, n’empêchera pas les deux chefs de guerre de s’affronter dans des combats déterminants. La lecture débouche ainsi non pas sur de nouvelles et complaisantes certitudes, mais sur des doutes prudents, ce qui vaut sans doute mieux.
Ce qui ressort nettement et utilement, c’est une perception nuancée de l’Empire romain. Assez tôt dans son évolution, il est fragilisé par le désintéressement de ses citoyens. Il a beau recruter par milliers des mercenaires venus de partout et nouer, comme avec les Huns d’Attila, de profitables alliances, il chancelle sur ses fondements. La diplomatie succède à la toute-puissance de la légion romaine et l’abrupt « veni, vidi, vici » de César se dissout en tractations souvent peu glorieuses. Attila préfigurait cette fragilité à venir.