On sait que L’Action française, fondée pendant l’Affaire Dreyfus, joua un rôle important dans la France de la première moitié du vingtième siècle, particulièrement à partir des années 1930, où l’arrivée au pouvoir du Front populaire, honni par le journal, puis le régime de Vichy, nourri de l’idéologie du journal, lui donnèrent des ailes. Dirigée par Charles Maurras, L’Action française, monarchiste, catholique, pro-allemand durant l’Occupation, était l’un des lieux idéologiques privilégiés de l’extrême-droite.
Paul Renard a consulté les pages littéraires du quotidien durant la période 1931-1944 afin de voir dans quelle mesure les positions des rédacteurs pouvaient être marquées par leurs opinions politiques conservatrices. L’auteur s’intéresse en particulier aux « Causeries littéraires » de Robert Brasillach, qui signa cette rubrique pendant huit années, jusqu’à sa mobilisation en 1939. Brasillach, par l’importance de sa rubrique, figure au centre des pages littéraires, que signaient aussi, parmi les plus connus, Thierry Maulnier et Léon Daudet.
Les résultats auxquels arrive Paul Renard ne surprendront personne : suivant ses propres convictions, les pages littéraires de L’Action française, où parfois les condamnations sommaires voisinent avec les dérapages, apparaissent idéologiquement orientées. Par exemple, elles stigmatisent le « désordre » romantique, auquel elles opposent la mesure du XVIIe siècle, ou encore le surréalisme, parce qu’il incarnerait une forme d’anarchie ; elles rejettent André Gide et les romanciers de la NRF, jugés trop individualistes et trop abstraits (le roman d’analyse), balaient du revers de la main La nausée de Jean-Paul Sartre, dont l’univers « puant et sordide » laisse Brasillach partagé entre « le dégoût » et « une certaine pitié » ; etc. En revanche, l’admiration des rédacteurs va systématiquement aux écrivains paysans, catholiques et nationalistes, dont l’écriture est au service de valeurs d’ordre et de raison. Sans croire pour autant qu’il faille tout rejeter du journal, il est évident ici que ce ne sont pas les écrivains reliés à la modernité littéraire que célèbre L’Action française. « Dans le panthéon de L’Action française, le comte de La Varende représente l’idéal du romancier, dans la mesure où il fait vivre dans ses récits les valeurs de l’ancienne France aristocratique et monarchiste », note Paul Renard.
Dans l’ensemble, Paul Renard s’est livré à un travail remarquablement consciencieux, qui pourrait faire mentir ceux qui ont parfois pu croire que les pages littéraires de L’Action française avaient affiché une certaine indépendance par rapport à la ligne idéologique de Maurras. Si la critique de Brasillach notamment ne ménageait pas, au contraire, des prises de positions qui avec le recul le font très mal paraître, on pourra tout de même se retourner vers ses propres romans, nettement plus nuancés et plus fins, dont plusieurs, aujourd’hui, valent le détour (voir mon article dans la rubrique « Écrivains méconnus du XXe siècle » de Nuit blanche no 80).