Les autobiographies sont rarement sinon jamais des sommets de sincérité. La mémoire étant une faculté qui choisit, celui qui se raconte retient de son passé la partie glorieuse et escamote son passif. Jean Désy fait exception : s’il est fier d’avoir replacé l’humérus de Maxime dans sa niche, il avoue candidement ses erreurs et ne les impute jamais aux voisins ou aux circonstances. Si plusieurs des anecdotes qui peuplent, attristent ou égaient son bouquin valent par leur originalité, un bon nombre n’ont de raison d’être que le désir de l’auteur de valoriser l’humain partout où il le rencontre. Peut-être le temps et l’enseignement en ont-ils arrondi les angles, ils n’en ont pas modifié la générosité.
Car telle est la caractéristique première de Désy : il aime et respecte les personnes. Qu’elles soient violentes ou égoïstes, engluées dans leur dépendance à l’alcool ou sourdes aux misères d’autrui, il va à leur rencontre sans les juger. On croit entendre Thibon : « Ne jugez pas, car le travail du bourreau commence au verdict du juge ». Désy souhaite le pardon : « Pardonner est nécessaire pour des raisons de santé et de joie. Un jour, qui sait ? Une femme brisée, un petit garçon cassé en deux iront à la rencontre d’un soldat qui perdit toute mesure de ses actes, et peut-être, sans retourner vivre avec lui, ils lui diront avec humilité qu’il a le droit de poursuivre sa vie, ailleurs peut-être, mais avec leur bénédiction. Pas une fausse bénédiction. Pas une bénédiction contrite et obligée. Non. Une bénédiction aimante pour que le Mal ambiant s’amenuise ou même disparaisse ».
L’auteur n’est pas pour autant ce que j’appellerais un daltonien moral, mais ses colères ou ses refoulements épargnent les faibles et les souffrants et visent les arrogances, les prétentions, les abus de pouvoir. Les humbles l’émeuvent et il n’a pas honte de sa sensibilité, mais il fulmine quand un policier exige l’accès à un dossier médical ou qu’un autre réclame qu’on ranime un mort. Il frémit quand un urgentiste pressé et suffisant prescrit à distance une intubation inadaptée. Les relations humaines, il les conçoit autres.
À lire Désy, on comprend mieux son besoin d’illuminer sa pratique médicale par un approfondissement philosophique ou littéraire. « Je refuse que la médecine soit de plus en plus considérée comme une seule science. Je crois en l’amalgame de l’art et de la science pour aborder l’univers de la maladie… et de la santé. » Plaidoyer bellement opportun en ces temps de dessèchement comptable.
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