Vous êtes le produit d’une évolution aveugle. Émerveillez-vous si vous y tenez, mais ne vous faites pas d’illusion.C’est un peu la somme de toute sa carrière de scientifique, voire de militant pour la science, que Cyrille Barrette a mis dans cet ouvrage qui nous touche tous. Qui nous touche tous en effet, car malgré leur immense diversité, il y a fort à parier que tous ses lecteurs seront humains. Et se seront posé les mêmes questions : qu’est-ce qu’un humain ? Les humains sont-ils des animaux comme les autres, pas tout à fait comme les autres, radicalement différents ? D’où viennent-ils ? Sont-ils seuls (ou accompagnés par un ou des dieux) ? Non seulement nous nous sommes tous posé ces questions d’une manière ou d’une autre, mais nous avons tous été exposés plus ou moins aux mêmes réponses proposées par les sciences de la nature, la religion, la spiritualité et les sciences humaines.Et pas assez par la biologie, estime Cyrille Barrette. C’est la lacune qu’il souhaite corriger ici, animé par une passion pour sa discipline qu’il cultive depuis des dizaines d’années.Et sa réponse biologique, faut-il s’en étonner, est résolument darwinienne et matérialiste. À un point qui laisse songeur. Le nombre de fois que l’auteur prend la peine de marteler, dans la première partie du livre, que nous sommes issus d’un processus naturel et aléatoire (« contingent »), sans aucune intention de quelque part que ce soit, finit par ressembler à un mantra. C’est, paradoxalement, un genre de profession de foi dans la science. Que d’autres grands scientifiques comme Hubert Reeves subodorent un « vouloir obscur » dans l’univers ne semble pas de nature à ébranler cette foi. L’avantage, c’est que nous savons d’emblée où loge l’auteur.Et de fait, l’homme connaît son domaine. Le lecteur curieux, qui en a entendu de toutes sortes sur le darwinisme et la sélection naturelle, au sortir de cet ouvrage, saura faire la part des choses grâce à des explications claires assorties d’exemples éclairants, écrits parfois dans un style léger et authentique qui n’entame nullement le sérieux des propos. Au passage seront écorchées – ou plutôt rectifiées – certaines idées reçues, par exemple sur ce que l’on appelle à tort le « darwinisme social » et sur les questions du véganisme, de l’homosexualité ou du genre.Alors, l’être humain est-il un animal, ou pas un animal ? Les deux, mon colonel : « Pour un biologiste, […] nous sommes littéralement une bête, bien que plutôt bizarre ». L’être humain, d’une part, n’est rien de plus que le résultat aléatoire d’une évolution extrêmement graduelle (et irrémédiablement aveugle, il faut le rappeler) de l’amibe, celle-ci n’étant d’ailleurs elle-même pas le début de l’histoire. (L’exposé sur la notion d’« origine » est à cet égard particulièrement intéressant.) En ce sens, il participe indéniablement de la même nature non seulement du singe (sans en descendre directement), mais aussi de la tortue et de l’araignée. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir que l’être humain est un animal pas comme les autres. En fait, à la dichotomie classique entre « nature » et « culture », le biologiste répond que l’humain a en fait « deux natures ».De sa nature animale, il tient certains traits tels que l’égoïsme, la crédulité et une soumission (quoique partielle) aux programmes de ses gènes. Quant à sa nature humaine, issue d’un affranchissement inouï du processus de sélection naturelle, elle se manifeste par sa capacité, voire sa propension : 1) à faire des choses inutiles du point de vue de la reproduction de l’espèce (pensons notamment au jeu, aux arts, au tourisme, à la gastronomie, à la spiritualité, à l’érotisme…) ; 2) à commettre des actes en soi nuisibles au maintien de cette même espèce (contraception, chasteté, sports extrêmes, suicide, surconsommation délétère) ; 3) à se projeter dans le passé et dans l’avenir. Et à la crédulité instinctive répond dans la deuxième nature la capacité de mentir… donc de douter.Certains de ces traits sont partagés avec certains animaux, mais il ne faut pas se leurrer : l’humain les a développés dans une mesure qui dépasse de très loin les comportements analogues constatés chez les (autres) animaux, à un point tel qu’on peut parler d’une différence non seulement de degré mais de… nature.Et à tout cela, il faut ajouter le libre arbitre. « Pour toutes les autres espèces, les gènes hurlent des commandes impératives auxquelles l’individu doit obéir sous peine d’en payer cher le prix imposé sur-le-champ par la sélection naturelle. Pour nous, les gènes associés aux comportements sociaux nous chuchotent tout au plus et de loin des suggestions ; nous n’en sommes ni esclaves ni prisonniers ». Cette liberté s’accompagne évidemment d’une responsabilité (même si nous n’avons de comptes à rendre à personne, rappelons-le).L’auteur nous présente humblement son ouvrage sous l’appellation de « carnet ». On y trouve en fait une somme solide et bien structurée apportant à des questions éternelles et bien contemporaines des réponses solides, celles qui sont propres au territoire de la biologie.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...