« Partagé entre le sourire et quelque chose qui lui noue la gorge », un homme observe le portail, le jardin, les volets clos et les cheminées de la maison appartenant à la femme dont la voix est celle des mauvais jours et des chagrins rentrés. Se souvenant des réparations planifiées (jamais effectuées), des amis et des cousins qui se rendaient à cette résidence secondaire, de ses problèmes à mémoriser les noms de fleurs qu’on y trouvait, il se rappelle de sa rencontre avec Julie, leur vie commune, leur rupture. Il se dit qu’il n’y a « rien, dans une telle situation, il ne l’ignor[e] pas, il n'[est] certes pas à ce point naïf, rien que de très banal, rien qui, d’un bout à l’autre de l’univers, ne se reproduise tous les jours de semblable façon », mais se montre incapable de résister à l’avalanche des images, à ce qu’il résume en « Julie ceci, Julie cela, Julie, Julie et Julie ».
S’agit-il alors d’un roman insipide, décrivant un amour perdu, comme le font tant d’autres ? Que non ! L’ancien amant reste immobile pendant des heures, mais son récit ne s’arrête jamais, dynamique, souvent vertigineux. La partie centrale du livre, constituée de bribes de conversations entendues au cours d’un cocktail littéraire, est tout simplement superbe : vive, colorée,… délicieuse ! Un style éclatant de virtuosité.
Les scènes de la vie passée sont loin d’être idéalisées ; le narrateur – perçu comme « monsieur le rabat-joie, monsieur l’éteignoir » – n’a pas peur d’évoquer ses maladresses, son égoïsme, son orgueil. Il est irritant, mais on finit par se demander si l’atmosphère peut être différente dans un couple formé par deux personnes mûres, aux opinions et habitudes fermes, dissemblables. Julie est « la tsarine de son petit clan », il se sent seul parmi les gens qui les entourent ; elle n’est pas dérangée par le désordre alors que lui, il tient à ce que les objets soient à leur place. Elle est souvent en retard, il apprécie la ponctualité. Quand il donne un « p’tit cours de beau langage », elle répond « riant à moitié, à moitié pas ». « Elle ne support[e] pas qu’on lui raccroche au nez. Il détest[e] qu’on lui crie aux oreilles. »
Malgré l’accent mis sur les réminiscences du passé, c’est le présent qui triomphera : la maison a un dernier secret à livrer à cet homme si imparfait qui nous est, curieusement, si proche…