À première vue, le titre pourrait paraître ambitieux, mais quel autre intellectuel à part Edgar Morin pourrait de nos jours nous proposer des solutions réalistes aux grands problèmes mondiaux qui nous accablent ? Au lieu du simple diagnostic d’un présent sans lendemain, au lieu de se lamenter à hauts cris sur les inégalités actuelles sans avancer du même souffle des stratégies pour un monde meilleur, Edgar Morin énonce des pistes tangibles. Chaque chapitre touche un domaine particulier. Pour commencer, il cible quelques problèmes irrésolus : le stress, les nouvelles formes de pauvreté (culturelle, relationnelle, d’existence), l’énergie nucléaire et ses déchets nocifs dont on tente de dénier l’existence. Parmi les solutions proposées, des plus grandes aux plus simples, Edgar Morin suggère de renoncer aux drogues et aux dépendances : du café aux gélules dynamisantes, en passant par l’alcool et les amphétamines. En outre, il nous encourage à utiliser l’épicerie sociale, les « filières courtes » afin d’éviter les intermédiaires dans la distribution des produits alimentaires – qui trop souvent ajoutent des tarifs et des frais, ce « qui à la fois pressure le producteur et spolie le consommateur ».
Dans chaque diagnostic, Morin cerne la complexité d’un problème plus vaste, ce qui amène parfois d’apparentes contradictions : par exemple, il faudrait « centraliser et décentraliser les hôpitaux », c’est-à-dire faire cesser la concurrence entre les grands établissements mais aussi construire davantage de petits centres hospitaliers afin de désengorger le système. Sur le thème de l’urbanisme, les exemples de réformes et les expériences réussies sont variés, de Stockholm, qui recycle ses déchets organiques, à Fortaleza au Brésil, où un bidonville a été transformé en un quartier populaire grâce au microcrédit. Les pages sur l’agriculture et l’alimentation sont parmi les plus concrètes, prônant notamment l’abandon du « dogme céréalier » pour privilégier l’agroforestier – afin de développer les cultures combinées avec des arbustes et par ailleurs de donner la priorité aux « huiles arboricoles » pour ultimement « réduire la part des céréales dans l’alimentation des animaux monogastriques » comme les poulets et les porcs.
Les derniers chapitres apportent des leçons d’éthique : l’auteur déplore que des sentiments comme la jalousie envahissent notre quotidien et notre milieu de travail : « Nous nous croyons civilisés alors que la barbarie s’empare intérieurement de nous dans l’égoïsme, l’envie, le ressentiment, le mépris, la colère, la haine ». Les dimensions sociologiques et anthropologiques contribuent à éclairer les solutions. Pour Morin, il faut à tout prix éviter de « réduire l’autre à son ethnie, à sa race, à sa religion, à ses erreurs, à ses fautes, à son pire comportement aveugle ».
On trouve dans La voie un mélange de pessimisme et d’optimisme, et c’est la grande qualité de ce livre-phare, certainement le meilleur d’Edgar Morin depuis les derniers tomes de son cycle La méthode.